C’est un rapport qui fait froid dans le dos. Alors que la résistance aux antibiotiques sera sans aucun doute l’un des défis sanitaires que devra relever l’Humanité dans les décennies à venir, la revue Science vient de publier une nouvelle étude montrant que cette antibiorésistance est loin de ne concerner que les humains : en ingérant des protéines animales et des antibiotiques, les animaux d’élevage ont eux aussi développé une résistance à des bactéries potentiellement mortelles. "Cet article est le premier à suivre la résistance aux antibiotiques chez les animaux à l'échelle mondiale et il constate que la résistance a augmenté de façon spectaculaire au cours des 18 dernières années", explique ainsi Ramanan Laxminarayan, coauteure et chercheuse principale de l’étude.
La moitié des antibiotiques échouent une fois sur deux
Ces nouveaux travaux ont été menés par des chercheurs de l’École Polytechnique fédérale de Zurich (ETH Zurich), du Princeton Environmental Institute (PEI) et de l'Université libre de Bruxelles. Ces derniers ont rassemblé près de 1 000 publications et rapports vétérinaires non publiés du monde entier pour créer une carte de la résistance aux antimicrobiens dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Ils se sont concentrés sur les bactéries les plus dangereuses pour les animaux et les humains, à savoir Escherichia coli, Campylobacter, Salmonella et Staphylococcus aureus.
Ils ont alors constaté qu’entre 2000 et 2018, la proportion d'antibiotiques présentant des taux de résistance supérieurs à 50 % dans les pays en développement avait explosé : elle est passée de 0,15 à 0,41 chez les poulets et de 0,13 à 0,34 chez les porcs. Cela signifie que les antibiotiques pouvant être utilisés ont échoué plus de la moitié du temps chez 40 % des poulets et chez un tiers des porcs élevés pour la consommation humaine.
Les pays en développement en première ligne
Les chercheurs se sont aussi intéressés aux pays où cette résistance bactérienne chez le bétail était la plus forte. C’est en Chine, en Inde, au Brésil et au Kenya, que l’antibiorésistance est la plus répandue. Selon les auteurs, c’est parce que ces pays ont accordé ces dernières années une place prépondérante à l’élevage intensif. "Nous voulons sans aucun doute des régimes plus riches en protéines pour le plus grand nombre de personnes, mais si cela se fait au prix de l'échec des antibiotiques, nous devons alors évaluer nos priorités", estime la Pre Laxminarayan qui rappelle qu’aujourd’hui, la production de viande représente 73 % de l'utilisation mondiale d'antibiotiques. Ce sont eux qui ont rendu possible l'élevage et la consommation de viande à grande échelle en réduisant les infections et en augmentant la masse corporelle du bétail.
Sortir du tout antibiotique est une nécessité
Pour Thomas van Boeckel, premier auteur des travaux, cette explosion de la résistance aux antibiotiques chez les animaux d’élevage est particulièrement inquiétante dans les pays en développement car "ils continuent de connaître une croissance explosive de la production et de la consommation de viande, tandis que l'accès aux antimicrobiens vétérinaires reste largement non réglementé". "La résistance aux antimicrobiens est un problème mondial. Cette tendance alarmante montre que les médicaments utilisés en élevage perdent rapidement leur efficacité", s’inquiète-t-il.
Selon les chercheurs, il est urgent que les pays concernés par cette hausse de l’antibiorésistance prennent des mesures pour restreindre l'utilisation d'antibiotiques humains chez les animaux d'élevage. Il est aussi nécessaire que les pays riches soutiennent leur transition vers une agriculture durable, éventuellement par le biais d'un fonds mondial pour subventionner les améliorations en matière de biosécurité et de sûreté biologique. Dans le cas contraire, l'utilisation sans restriction d'antibiotiques chez un nombre encore plus important d'animaux élevés pour la consommation humaine pourrait entraîner la propagation mondiale de bactéries infectieuses de plus en plus difficiles à traiter.
En 2014, le rapport O’Neill commandé par le gouvernement britannique estimait déjà que les infections résistantes aux antimicrobiens pourraient devenir la principale cause de décès dans le monde d’ici à 2050 en causant 10 millions de décès par an.