Dans le dictionnaire, le deuil se définit par “la perte d’un ami ou d’un parent” et par “la douleur, affliction éprouvée à la suite du décès de quelqu'un”. Tout le monde le vit mais personne n’en parle. En France, plusieurs associations aident les personnes en deuil, les soutiennent, les aident à en parler. Mais elles manquent cruellement de fonds et peinent à se faire entendre des pouvoirs publics qui auraient pourtant un rôle sociétal important à jouer. Pourquoi Docteur est allé à la rencontre d’Empreintes, la seule association en France à accompagner tous les types de deuils avec la vocation d’“aller de l’individu à la société”. Fondée en 1995 par un psychiatre du nom de Michel Hanus, Empreintes est composée d’une quinzaine de bénévoles, d’une dizaine de psychologues et se développe à travers cinq missions : l’accompagnement, la formation de professionnels, la recherche, l’information et la mobilisation.
“Le deuil, on en a tous l’expérience. C’est le point commun des êtres vivants, ça ne s’apprend pas mais notre ambition est de passer de l’expérience personnelle à des connaissances sur cette épreuve. Qu’est-ce que c’est qu’un deuil, combien de temps ça dure, quand est-ce que c’est normal, compliqué ou pathologique ? Comment annoncer à un enfant un décès sans nuire à son avenir ? Ce sont des situations qu’on peut anticiper puisque l’on sait qu’elles vont arriver. Même si cela ne vaccine pas d’avoir des connaissances, cela peut permettre de mieux gérer, puis d'appaiser la douleur. Un deuil ça dure longtemps. Ca ne finit pas, ça fait partie de nous, c’est une cicatrice qui reste et avec laquelle on vit tout à fait bien”, explique Marie Tournigand, déléguée générale de l’association à Pourquoi Docteur. Mais pour en arriver là, encore faut-il en parler. C’est là que l’association intervient.
Concrètement, comment ça se passe ? Quand une personne perd un proche, elle se sent souvent très seule et démunie. Le plus souvent, l’entourage, également affecté par le décès, n’est généralement pas en mesure d’aider. Il arrive également qu’une psychothérapie ne soit pas ce dont l’endeuillé(e) a besoin. “Les gens surfent alors sur Internet ou découvrent un livre qui nous mentionne”, affirme Marie Tournigand. Le premier contact se fait alors par téléphone via une ligne d’écoute nationale et peut durer une heure ou plus.
“Nous ne sommes pas un espace thérapeutique”
Au cours de cette échange, les bénévoles, écoutent activement l'appelant,le soutiennent au mieux et évaluent sa demande. Ils sont formés par l’association à la clinique du deuil et ont donc des connaissances sur les spécificités du deuil (accident, suicide, attentat, maladie…), chez l’enfant, l’ado, l’adulte et la personne âgée.
“Nos accompagnants ne proposent pas à toute personne un groupe ou un entretien, car il se peut que ce ne soit pas réellement la bonne réponse à ses besoins, notamment quand la fragilité psychique est pré-existante au deuil. L'association n'est pas un espace thérapeutique. C'est un espace de soutien, d’information et d’aide mais pas de soin”, précise Marie Tournigand.
Lorsque l'accompagnant estime que l’association peut aider, il propose un entretien dans les locaux, basés à Paris ou par Skype. Celui-ci pourra déboucher sur un autre rendez-vous, individuel ou en groupe.
“Nous proposons un entretien individuel lorsque la personne semble pouvoir s'exprimer sur son deuil sans que cette problématique ne soit trop intriquée avec un ensemble d'autres difficultés psycho-sociales”, insiste Marie Tournigand. “De la même façon, quand la demande est un groupe, nous évaluerons si la personne a besoin de s’exprimer toute seule ou si ça lui fera du bien d’écouter les histoires des autres aussi. Les gens demandent souvent des groupes, mais en réalité, ça peut être difficile, surtout quand le deuil est très récent, d’écouter les histoires des autres.”
Les groupes proposés par Empreintes sont nombreux. “Nous avons un groupe ‘tous deuils’ et des groupes complémentaires, spécifiques et des thématiques comme ‘deuil après suicide’, ‘parentalité à travers le deuil : Je suis parent, mes enfants sont en deuil, je me débrouille comment dans ma famille ?’. Et puis, il y a des groupes par tranches d’âge, jeunes adultes, enfants, ados”, détaille-t-elle. La société a tendance à tort à stigmatiser hiérarchiser certains deuils, à dire : “toi c’est pire tu as perdu un enfant. Oh non, toi c’est pire car c’était un suicide”. C'est une erreur qui pèse aux endeuillés, il n’y a pas de hiérarchie dans la douleur.
“Après le décès, les proches sont souvent abandonnés”
Outre cet accompagnement, Empreintes forme également des professionnels, des médecins, des travailleurs sociaux ou encore des services de ressources humaines à la clinique du deuil, à sa prise en charge et à l’accompagnement des personnes dans le besoin. “Partout où j’ai travaillé comme assistante sociale, je me rendais compte que, même en soins palliatifs, après le décès, les proches étaient souvent abandonnés et pas informés sur ce qu’il allait se passer pour eux après”, ajoute Marie Tournigand.
L’association mène également des études pour comprendre les conséquences du deuil sur la vie des gens, la dernière en date étant Le Deuil et les Français (avril 2019, enquête Credoc-Empreintes-CSNAF). Elle mobilise les pouvoirs publics pour mettre en place un plan national d’action pour un meilleur soutien au deuil, afin de prévenir des risques éventuels. Le 12 avril 2019, elle a notamment organisé avec des partenaires les Assises du Deuil au Sénat. Dix propositions ont été faites, parmi lesquelles la création d’un “référent deuil” dans chaque organisme, le lancement d’une campagne annuelle d’information sur le sujet ou encore l’instauration d’une journée nationale sur le deuil.