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Lourd de conséquences

Deuil : quelle conséquence sur la santé physique et psychique ?

Par Raphaëlle de Tappie

La perte d'un être aimé peut provoquer une dépression clinique à long terme, avoir des conséquences sur l'emploi, sur l'isolement ou encore entraîner des pathologies, notamment cardiovasculaires. Alors que peu de personnes sont prises en charge de façon adaptée, Pourquoi Docteur est allée à la rencontre d'Empreintes, une association spécialisée dans l'accompagnement du deuil.

spukkato/iStock

Cet été, l’histoire d’une Américaine morte de chagrin quelques heures après le décès de son mari avait fait les gros titres. Désespérée par la mort de son bien-aimé, la femme aurait été victime du “syndrome du cœur brisé”. Médicalement, on parle du phénomène Tako-Tsubo. Ce dernier se caractérise par une sidération myocardique survenant causée par un stress émotionnel. Mais si peu de personnes meurent de chagrin suite au décès d’un être aimé, les conséquences du deuil sur la santé psychique ou psychologique n’en sont est pas moins considérables et largement passées sous silence dans notre société. D’après l’Observatoire national du suicide, le deuil est d’ailleurs un facteur majeur de risque suicidaire.

Le deuil pathologique concerne à peu près 5% des personnes en deuil. Seul un médecin peut le diagnostiquer”, explique Marie Tournigand, déléguée générale de l’association Empreintes, spécialisée dans l’accompagnement du deuil et qui vient de publier une enquête réalisée par le Credoc: “Les Français face au deuil”, en avril 2019.  

“Une personne sur deux qui vit un deuil déclare un impact sur sa santé. Le processus de deuil passe par un épisode de dépression adapté, normal. Mais il arrive que la personne ait des comportements dangereux ou addictifs : elle prend des risques, consomme plus d’alcool, de tabac, de médicaments, de nourriture. Une personne sur deux qui nous contacte ici a des idées suicidaires et veut mourir pour rejoindre l’être aimé et ne plus souffrir”, détaille-t-elle.

39% des endeuillé(e)s souffrent de conséquences psychologiques dans l’année qui suit

Sur la santé physique, de nombreuses recherches montrent une augmentation des maladies cardiovasculaires et des AVC, ainsi qu’une aggravation des cancers, après un deuil. Dans le détail, des études françaises ont déjà remarqué 80 % de surmortalité la première année de veuvage chez hommes et 60 % chez les femmes. Chez les 50-70 ans, les chercheurs ont également observé une majoration de taux d’hospitalisation de 20 à 30% après la perte d’un être cher. Par ailleurs, 39% des personnes ayant subi un deuil ont souffert de conséquences psychologiques qui, pour la moitié d’entre eux, ont duré plus d’un an. Enfin, 77% des élèves orphelins indiquent au moins une influence négative sur leur scolarité et 49% sur leur santé.

Selon la dernière étude Credoc d’Empreintes, 59% des endeuillés ont subi une altération de leur santé ou de leur condition physique et 51% ont ressenti un épuisement physique, dont 20% pendant plus d’un an. 

“Quand une personne souffre encore six mois après, c’est absolument normal, ce n’est en rien pathologique mais les idées reçues qu’on a sur le deuil font que la personne pense qu’elle est malade”, développe Marie Tournigand. 

"Nous sommes faits des gens qui nous entourent" 

Et si les films nous montrent un processus du deuil décomposé en cinq étapes : choc/déni, colère, marchandage, dépression, acceptation, en vitesse accélérée, la réalité est autrement plus compliquée. “Ce qu’on voit dans la clinique, c’est tout d’abord la sidération, comme une espèce d’anesthésie au moment du décès où même si c’était prévu et que la personne est morte de vieillesse ou de maladie. Le choc est assez brutal, ce qui fait qu’on se protège par une espèce de mise sous pilote automatique. C’est comme ça qu’on arrive à organiser les obsèques, à recevoir les gens, à continuer à parler sans s’effondrer”, déclare Marie Tournigand.

“Puis on va être dans la recherche de l’autre, à faire “comme si” il existe encore car on a encore en tête sa voix, son odeur, des photos ou des vêtements. Tout cela nous protège de l’absence. La troisième étape, la plus longue et douloureuse et qui vient quelques mois plus tard, est celle du vécu dépressif : on continue à avoir de l’affection pour la personne mais son absence devient réelle et cruelle. Enfin, la dernière étape est celle de la reconstruction, où l'on va peu à peu transformer le lien qu’on avait avec l’autre pour le faire vivre à l’intérieur de nous. Même s’il est mort, il fait partie de nous puisque nous sommes faits des gens qui nous entourent”, continue la déléguée générale d’Empreintes.  

Il arrive que le silence dure pendant des décennies

Bien évidemment, la manière de faire son deuil dépend beaucoup de l’âge. Chez les enfants, la réalité de la perte de l’être aimé est particulièrement complexe à assimiler. “Les enfants sentent tout mais ils n’ont pas les mêmes représentations de la mort que nous. Pour un enfant, quand on est mort, ce n’est pas pour toujours. Avant 7 ans, on a le sentiment que le parent, le frère ou la sœur, va revenir. Ils peuvent soit avoir un comportement qui change au niveau du sommeil, de l'alimentation, de la scolarité ou encore de l'excitation. Au contraire, ils peuvent ne rien laisser paraître et ça peut être tout à fait invisible. Mais cela ne veut pas dire qu’ils ne vivent pas le deuil et ne se posent pas des questions”, assure Marie Tournigand. Il arrive alors que ce silence dure pendant des décennies.

“A l’association, nous recevons des appels de personnes qui réalisent quarante ans après qu’elles n’ont jamais parlé de leurs parents et veulent le faire maintenant”, explique-t-elle. Et d'inviter à regarder Destin d’orphelins,“magnifique documentaire” réalisé par Karine Dusfour et Elisabeth Bost qui suit le parcours de familles en deuil.