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QUESTION D'ACTU

Bousculer les mentalités

Deuil : quel est le rôle des pouvoirs publics ?

Alors que près de la moitié des Français ont déjà été traumatisés par un deuil, ce dernier reste un sujet tabou et une cause sociétale qui manque de financements publics. Pourquoi Docteur est allé à la rencontre d'Empreintes, une association spécialisée dans l'accompagnement des personnes endeuillées. 

Deuil : quel est le rôle des pouvoirs publics ? dragana991/iStock




Vendredi 1ernovembre, nous célébrions la Toussaint. Mais si la France a une journée nationale pour mettre à l’honneur ses morts, qu’en est-il d'une journée de soutien aux vivants en deuil? Le deuil a pourtant un coût sociétal réel et, d’après les acteurs en place, les pouvoirs publics ont un vrai rôle à jouer dans la prise en charge des personnes concernées. En effet, une enquête menée cette année par l’association Empreintes, spécialisée dans l’accompagnement du deuil, réalisée par le Credoc  montre que 48% des Français ont déjà vécu un décès qui les a particulièrement marqués, 59% des endeuillés ont subi une altération de leur santé ou de leur condition physique, 51% ont rencontré des difficultés psychologiques, dont 26% pendant plus d’un an. Qui plus est, 43% des personnes en activité se sont absentées de leur travail, 33% se sont isolées et 12% ont dû déménager contre leur gré.

“Soit parce qu’elles ne peuvent plus payer soit parce qu’elles doivent revendre leur logement. Le deuil a un impact sur l’emploi avec des arrêts maladie longs et souvent des difficultés de retour au travail, parce qu’on est plus tout à fait le même quand on a vécu ça. Le deuil a aussi un impact sur les personnes âgées et les placements en EPHAD. On devient souvent dépendant parce qu’on a perdu son conjoint, donc tout cela a un coût important pour la société, en termes de consommation de soins, de consultations ou encore de pathologies, notamment des fractures dans le cas des personnes âgées”, explique Marie Tournigand, déléguée générale de l’association que Pourquoi Docteur a rencontrée.

L'enquête “Les Français face au deuil” a démontré que 59% des actifs en deuil ont bénéficié d’un arrêt de travail de plus d’une semaine et 29% de plus d’un mois. Une majoration des hospitalisations a également été observé chez les endeuillés de 50 à 70 ans. D'autres études montrent, concernant les revenus, que 26% des veuves âgées de 25 à 44 ans ont des revenus inférieurs au seuil de pauvreté contre 17% des divorcés et 28% des adultes ayant perdu un parent pendant l’enfance ne sont titulaires d’aucun diplôme, contre 17% de l’ensemble des adultes.

Former des référents deuil

Forte de toutes ces données présentées par l’association en avril dernier lors des Assises du deuil au Sénat, Empreintes a fait dix propositions. Parmi elles, l'association propose une consultation systématique trois à six mois après le décès, l’élaboration d’un cadre déontologique sur le deuil, la conception d’une politique de financement public et privé de l’accompagnement et la mise en place d’un Observatoire de recherche sur le deuil et ses conséquences sanitaires et sociales. L'association aimerait également la création d’un métier de chargé de prévention des risques liés au deuil (d’après l'Observatoire national du suicide, le deuil est une cause majeure de suicide), l’élaboration d’un rapport annuel sur le sujet, le lancement d’une campagne annuelle de formation ainsi que l’instauration d’une journée nationale du deuil labélisée.

Mais surtout, la première proposition phare de l’association consiste à former en deux jours des Référents Deuil (nom déposé) dans tous les organismes, notamment dans les écoles (59 % des enseignants disent manquer d’informations pour gérer la situation des enfants orphelins dans leur classe), en entreprise dans les services ressources humaines, ou encore dans les commissariats où les policiers sont amenés à annoncer des décès alors qu’ils n’ont aucune formation pour le faire. “Et c’est pareil dans les mairies”, déplore Marie Tournigand.

“L’autre proposition phare, c’est que lorsqu’on annonce un décès à une personne, dans les 48 heures qui suivent, cette personne ait une information sur le fait que ce qu’elle vit s’appelle un deuil. Qu’un ado ne découvre pas un an après qu’il ne va pas bien car il vit un deuil. Informer les gens sur ce qu’ils vont traverser permettrait de prévenir des complications. Le référent deuil serait chargé de mettre en place dans son organisme des dispositifs qui permettent d’informer. Même les médecins ne sont pas formés à annoncer un décès. Alors encore moins un deuil”, détaille la déléguée générale d’Empreintes qui a créé une petite brochure gratuite sur le deuil qu’elle a diffusé à 160 000 exemplaires. 

Lutter contre les idées reçues

Outre l’information, l’association accompagne les personnes en deuil grâce à une plateforme d’écoute téléphonique et des groupes d’entraide. Cet accompagnement a un effet positif sur le plan sociétal car il permet d’accompagner le retour dans l’emploi des personnes endeuillées en maintenant un lien social et aide certains à ne pas se suicider, selon leurs propres témoignages. Mais pour aller encore plus loin, Empreintes, financée essentiellement par des fondations privées, aurait besoin de fonds supplémentaires. “Le financement de l’accompagnement de deuil est un vrai sujet. Le sujet fait fuir tout le monde ! Il rentre dans toutes les problématiques sociétales et dans aucune. Par exemple, on parle des familles monoparentales comme d’un bloc mais on ne distingue pas les divorces et les séparations des deuils. Or ce ne sont pas les mêmes réalités”, déplore Marie Tournigand.

Aussi, cette dernière espère que ce plan d’action national et les études alertant des risques changeront la donne au niveau des pouvoirs publics. “Par exemple, sur ces Assises, on a eu le patronage de trois hauts ministères : la Santé, l’Education et la Justice, ce qui commence à montrer une prise de conscience quand même”, se félicite-t-elle.

Mais ce qu’elle souhaite par-dessus tout, c’est qu’une plus grande implication des pouvoirs public sur la question du deuil permette de faire bouger les mentalités. “Dans l’étude Credoc qu’on a présentée aux Assises, un Français sur deux se dit heurté par l’attitude de l’entourage, en termes d’injonctions. L'entourage familial, amical ou professionnel prononcent des injonctions comme : ‘il faut te remettre maintenant, il faut passer à autre chose, ça fait six mois, ce n'est pas normal’ ou encore ‘Oui tu as perdu un bébé mais il n’était même pas né et tu en auras d’autres, tu es jeune. Sors, ça te fera du bien, arrêt de pleurer’. Ce sont des injonctions qui heurtent”, déclare Marie Tournigand. Et de conclure : “Notre idée est de diffuser une certaine culture sur le deuil et des connaissances sur le sujet pour lutter contre ces idées reçues qui font qu’aujourd’hui nous n'arrivons même pas à trouver un soutien et des financements à cette cause.”

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