Cette semaine, les députés se penchent sur le statut de la recherche sur les cellules souches embryonnaires. En France, la recherche sur ces cellules est interdite mais des dérogations exceptionnelles sont possibles. Ainsi, une poignée d’équipes de chercheurs français a pu démarrer quelques travaux prometteurs : pour réparer le tissu endommagé du cœur, permettre des greffes de peau chez les grands brûlés, ou encore améliorer les techniques de procréation médicalement assistée…
Mais, le député Roger-Gérard Schwartzenberg, ancien ministre de la Recherche en 2000-2002, souhaite aller plus loin. « L’objectif est de mettre fin à l’interdiction de principe, qui persiste dans l’actuelle loi de bioéthique de 2011, car elle est préjudiciable aux malades, et auprès des chercheurs qui veulent développer les techniques d’une médecine régénératrice. »
La proposition de loi qui sera débattue en séance publique prévoit un encadrement très stricte. Est-ce donc bien utile de changer la loi ? « Il faut être franc, aujourd’hui la loi telle qu’existe ne bloque pas les chercheurs s’ils se consacrent à de projets de recherche académique et fondamentale, précise le Pr Marc Peschanski, le directeur scientifique de l’I-Stem au Genopole d’Evry, un des premiers chercheurs à avoir travaillé sur les cellules souches embryonnaires humaines. Mais, aujourd’hui nous n’en sommes plus là, les équipes sont en train passer au stade des applications cliniques ou industrielles. »
Par exemple, le Pr Philippe Ménasché à l’hôpital européen Georges Pompidou a fait une demande d’autorisation pour lancer un premier essai clinique chez l’homme de thérapie cellulaire sur les tissus cardiaques. « Et c’est à ce niveau que la loi nous bloque… » pointe le Pr Peschanski. L’interdiction n’encourage pas les directeurs d’hôpitaux à débloquer des investissements, ni les industriels à développer des partenariats avec les unités de recherche car ils ont peur de se retrouver avec des procédures juridiques sur les bras. « Dans la mesure où les opposants à ces recherches en sont déjà à 11 procès contre l’Agence de biomédecine, je les comprends un peu… » regrette le Pr Peschanski.
Ecouter Marc Peschanski, directeur scientifique de l’I-Stem. « Lorsqu’on se retrouve face aux directeurs d’hôpitaux et qu’on leur explique qu’on a besoin d’investissements pour des chambres de thérapie cellulaire. Ils nous répondent : votre truc, ça ne sera peut-être jamais autorisé, et cela risque de ne jamais servir. »
Au-delà du débat éthique, les opposants aux recherches sur les cellules souches embryonnaires développent un nouvel argument : ces recherches seraient aujourd’hui dépassées ! C’est vrai que depuis les premiers travaux en 1998 sur les cellules souches embryonnaires, il y a eu la découverte des cellules souches pluripotentes induites (IPS), une technique originale développée par le Pr Shinya Yamanaka en 2006 qui permet de reprogrammer une cellule adulte pour se comporter comme des cellules souches embryonnaires (Prix Nobel de médecine en 2012).
Dernière prouesse, en mai 2013, des chercheurs américains ont créé des cellules souches embryonnaires humaines à partir de cellules adultes de peau en recourant à une technique de clonage, une première après plusieurs tentatives infructueuses dans le monde ces dernières années.
Mais ces avancées techniques permettent-elles de se passer de la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines ? La réponse est non. « Les techniques sont complémentaires, aujourd’hui pratiquement toutes les équipes de recherche françaises travaillent sur les cellules souches embryonnaires humaines et sur les cellules IPS, explique le Pr Marc Peschanski.
Ces travaux parallèles ont permis de voir que les cellules IPS posent des questions de sécurité. « Nous savons aujourd’hui que le processus de reprogrammation pour aboutir à des cellules IPS induit des modifications du patrimoine génétique », explique schématiquement le directeur scientifique d’I-Stem. Les cellules IPS ne sont pas tout à fait une copie des cellules souches embryonnaires humaines, comme celles qu’on obtient à partir d’embryons humains dits « surnuméraires », issus de la fécondation in vitro et voués à la destruction.
Ecouter le Pr Marc Peschanski « On s’est même rendu compte que quand on faisait des IPS à partir du même donneur les cinq ou six clones qu’on obtenait n’étaient pas tout à fait identiques, c’est lié à des questions d’épigénétique, à des modifications dans le contrôle de l’expression des gènes qui n’est pas exactement normal ».
Conclusion, les cellules IPS et les cellules souches embryonnaires ne sont pas à opposer. Ces techniques se complètent pour mieux définir les pistes de la thérapie cellulaire. Et demain dans l’hémicycle, se joue bien l’avenir de la médecine régénératrice en France. La proposition de loi des députés du parti radical, républicain et progressiste est a priori soutenue par la majorité socialiste. Les chercheurs n'oublient pas que François Hollande en avait fait une promesse lors de sa campagne présidentielle. Reste à savoir si elle résistera à la longue liste des amendements.