La trisomie 21, aussi appelée syndrome de Down, est une anomalie chromosomique congénitale qui s’expliquerait par un troisième chromosome (dit surnuméraire) sur la 21e paire de chromosomes humain. Selon une étude présentée en 2018 lors d’un congrès sur le sujet à Glasgow (Ecosse) et réalisée par Gert de Graaf, Frank Buckley et Brian Skotko, les chercheurs estiment que la France compterait environ 35 000 personnes atteintes de trisomie 21. Cette anomalie chromosomique entraînerait, notamment, un déficit du développement cognitif. Des chercheurs de l'université de Californie à San Francisco et du Baylor College of Medicine de Houston, au Texas (Etats-Unis), ont découvert que les déficits d'apprentissage et de mémoire causés par cette maladie pourraient être corrigés. À l'aide de modèles animaux de la trisomie 21, les scientifiques ont corrigé les déficits d'apprentissage et de mémoire grâce à des médicaments ciblant la réponse de l'organisme au stress cellulaire. Les résultats de leur étude ont été publiés le 15 novembre dans la revue Science.
Selon les chercheurs, certaines déficiences liées à la trisomie 21 trouvent leur origine dans l'hippocampe, la partie du cerveau cruciale pour l'apprentissage et la mémoire à long terme. Ils ont découvert que ces changements peuvent être inversés chez la souris Ts65Dn, qui reflète les caractéristiques génétiques, comportementales et cognitives de la trisomie 21 chez les humains. Ils ont administré des médicaments ciblant l'une des principales voies de stress de la cellule chez la souris et ont constaté que les niveaux de protéines se normalisaient, inversant complètement les défauts cognitifs. Il s'agit là d'une évolution importante, compte tenu du fait que le déclin cognitif associé à la trisomie 21 a jusqu'ici été considéré comme irréversible. Ceci conduit à la possibilité que la fonction cognitive des personnes souffrant de trisomie 21 soit améliorée par l'utilisation de ces composés.
Le rôle déterminant des protéines
Les efforts pour comprendre le fonctionnement de la trisomie 21 ont généralement été restreint à la génétique, parce que cette affection est causée par une copie surnuméraire du chromosome 21. Jusqu'à présent, les scientifiques s’étaient surtout focalisés sur la façon dont le chromosome surnuméraire perturbait le fonctionnement des autres gènes. Dans cette nouvelle étude, les scientifiques ont étudié le phénomène de la "protéostase", c'est-à-dire le mécanisme de fabrication et de contrôle de la qualité des protéines de la cellule dans la trisomie 21. Alors que la plupart des chercheurs se soient concentrés sur les gènes individuels du chromosome 21 afin de déterminer lesquels étaient liés à la trisomie 21, l’équipe de chercheurs a préféré examiner la protéostase pour mieux comprendre ses défauts et leur possible implication dans l’anomalie chromosomique.
En étudiant la souris Ts65Dn (qui possède la plupart des anomalies cognitives trouvées dans la version humaine de la trisomie 21), à l’aide d’une technique de profilage polysomique (pour examiner les lieux de fabrications de protéines de la cellule), l’équipe s’est aperçue que la production de protéines dans l'hippocampe de ces souris était jusqu'à 39 % inférieure aux autres. Cette découverte a emmené les chercheurs vers une nouvelle énigme : pourquoi des copies supplémentaires de gènes ont-elles entraîné une baisse de la production de protéines ?
Les chercheurs ont découvert que les cellules de l'hippocampe de souris atteintes de trisomie 21 présentaient la réponse intégrée au stress (RIS), un circuit biologique qui est alerté lorsque quelque chose ne va pas afin de déclencher une réaction protectrice qui réduit la production de protéines.
Selon Peter Walter, professeur de biochimie et de biophysique à l’UCSF et co-auteur principal de l’étude, la cellule évalue constamment sa santé, et que lorsqu'elle détecte une anomalie, elle réagit en réduisant la production de protéines. Cependant, comme la synthèse protéique est nécessaire pour les fonctions cognitives supérieures, la réduction de sa production entraîne une pathologie de la formation de la mémoire. Les scientifiques ont constaté que la réaction intégrée au stress était également active dans les échantillons post-mortem de tissus cérébraux de personnes atteintes de trisomie 21. En étudiant ces échantillons, dont les cellules contenaient le troisième exemplaire du chromosome 21, ils y ont découvert la présence de la réponse intégrée au stress. Cela laisse donc penser que la réponse intégrée au stress n'est pas seulement impliqué dans certains symptômes de la trisomie 21, mais qu’elle pourrait aussi en être la cause.
Blocage d’une enzyme
La réponse intégrée au stress est activée par quatre enzymes différentes, mais une seule d’entre elle, la PKR, est impliquée dans l'activation de la réponse intégrée au stress dans les cellules de l'hippocampe. Pour prévenir cette réponse, les scientifiques ont bloqué la PKR, ce qui a relancé la production de protéines dans le cerveau des souris atteintes de trisomie 21, améliorant considérablement les fonctions cognitives des souris.
Les chercheurs ont utilisé trois techniques pour réduire la réponse intégrée au stress. Ils ont supprimé le gène PKR, utilisé un médicament pour supprimer le fonctionnement de la PKR et administré un médicament qui active la fabrication de protéines, appelé ISRIB. Collectivement, ces trois approches ont conduit à une amélioration de la cognition, qui a été mesurée dans deux tests de mémoire et d'apprentissage.
Ces changements étaient de nature à la fois comportementale et physiologique. Grâce à l’inhibition de la réponse intégrée au stress, le fonctionnement des synapses des souris atteintes de trisomie 21 s'est amélioré. Ce progrès est d’autant plus important que les synapses sont les espaces entre les cellules nerveuses où se produisent les changements associés à l'apprentissage. Après le blocage de la réponse intégrée au stress, les chercheurs ont constaté que le cerveau des souris trisomique transmettait moins de signaux inhibiteurs, qui rendait difficile pour le cerveau l’acquisition et la formation de nouvelles souvenirs à long terme.
Malgré ces constatations, Peter Walter pense qu'il reste encore beaucoup à faire. Malgré tout, cette recherche pourrait bien être le premier pas vers la mise au point de nouvelles thérapies qui pourraient améliorer de nombreuses vies.