Des inégalités sociales de nutrition terribles entre les Français. “Aujourd’hui, de fortes inégalités sociales de santé, notamment pour le diabète, l’obésité et l’hypertension, persistent entre les individus les plus favorisés socio-économiquement et ceux vivant dans des situations moins favorables en France, et notamment en Outre-mer”, alerte un rapport de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) paru mardi 19 novembre. Ce dernier a été commandé par la Direction générale de la santé afin d’envisager une déclinaison du Plan national nutrition santé dans les Outre-mer “en intégrant les spécificités de ces territoires.”
Pour établir son “expertise scientifique sur l’état nutritionnel et l’alimentation des populations ultramarines” (le périmètre concerne la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Mayotte et La Réunion), l’IRD a mobilisé “un comité d’experts pluridisciplinaire, composé d’épidémiologistes, nutritionnistes, médecins de santé publique, économistes, endocrinologue, diabétologue, et sociologue”, explique-t-il dans son rapport.
Au cours de leurs recherches, les scientifiques ont ainsi pu constater que dans les DROM (Département et régions d’Outre-mer), la prévalence de maladies chroniques liées à l’alimentation était beaucoup plus forte qu’en France métropolitaine. En effet, 39 à 45% des habitants de Guadeloupe, Martinique, Mayotte et La Réunion souffrent d’hypertension artérielle contre 31% de l’ensemble de la population française. Quant au diabète, il touche 10% des Martiniquais, 11% des Guadeloupéens et 14% des Réunionnais contre une moyenne nationale de 5%.
Les femmes plus touchées par la précarité et l’obésité
Par ailleurs, dans les cinq régions ultramarines étudiées, les différences de prévalence entre la catégorie socioéconomique la plus basse et la plus haute atteignent 20 points pour l’obésité, pour l’hypertension et entre 10 et 20 points pour le diabète. “Les disparités socioéconomiques sont bien plus fortes chez les femmes que chez les hommes sur les cinq territoires, mettant en évidence un effet cumulatif des facteurs socioéconomiques et du genre, phénomène observé aussi dans l’Hexagone”, notent les chercheurs. A Mayotte, 79 % des femmes âgées de 30 à 69 ans sont en surcharge pondérale. Parmi elles, 47 % sont obèses.
“J’ai été frappée par des écarts sociaux de prévalence sur ces territoires où les inégalités sont très fortes”, commente Caroline Méjean, épidémiologiste de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), qui a dirigé ces travaux, citée par Le Monde.
Dans les cinq zones étudiées, les chercheurs ont observé une surconsommation de produits gras et sucrés, et en particulier de boissons sucrées et jus de fruits. A l’inverse, la consommation de fruits, légumes et produits laitiers est plus faible que dans l’Hexagone et très inférieure aux recommandations, “ce qui conduit à de faibles apports en calciums et en fibres”, note le rapport.
Des produits plus sucrés que dans l’Hexagone
En termes de produits, les importations représentent 80 % à 90 % de l’offre disponible. Ce phénomène, une distribution peu concurrentielle et des mécanismes de fiscalité locale pourraient expliquer pourquoi le niveau des prix alimentaires est de 20 à 30% supérieur à celui de l’Hexagone.
Mais malgré des prix plus élevés, les populations des DROM ont des revenus plus faibles que ceux des habitants de la métropole. Par conséquent, la part du budget des ménages consacrée à l’alimentation est beaucoup plus importantes dans l’Outre-mer : 23,5% en Martinique et 31,5% à Mayotte contre 19,1% dans l’Hexagone.
Une autre inégalité, et pas des moindres, concerne la composition nutritionnelle des produits, ont remarqué les experts. Au début des années 2010, des médecins avaient alerté sur des teneurs en sucre beaucoup plus élevées de plusieurs produits vendus dans les DROM. En 2013, une loi était alors passée pour garantir la qualité de l’ordre alimentaire sur ces territoires. Mais si celle-ci permet de fixer les teneurs maximales en sucres par catégories, elle n’empêche pas la moyenne des produits de rester plus sucrés. Trop sucrés. Qui plus est, cette loi n’a jamais fait l’objet d’aucun suivi statistique et sa bonne application n’a donc pas pu être vérifiée.
Des disparités en matière de services de santé selon les régions
Les experts ont également constaté des disparités d’offres en matière de services de santé et de soins et leur accessibilité dans les régions d’Outre-mer. Ces dernières pourraient contribuer à expliquer les différences observées avec la France hexagonale pour les problèmes nutritionnels. “Il faut noter une offre déficitaire en médecine générale et en spécialistes des problèmes nutritionnels, ce qui explique un plus grand recours aux infirmiers à domicile ; l’offre centralisée peut être très éloignée”, détaille le rapport.
Enfin, concernant le sport, les études montrent un niveau global similaire à celui de l’Hexagone : environ un tiers des populations des DROM ont une activité physique régulière (au moins cinq fois par semaine). Mais malgré cela, l’Outre-mer demeure sous-dotée en termes d’infrastructures (-30 à 40% par rapport à la moyenne nationale), alerte le rapport.
Et les experts de conclure : “Mettre l’accent sur des actions de prévention, de dépistage et de prise en charge des problèmes nutritionnels ciblant prioritairement les femmes des catégories socioéconomiques défavorisées pourrait participer à la réduction des inégalités sociales de nutrition.”