L'ayahuasca, plus connu sous le nom de yagé, est un breuvage hallucinogène utilisé par les chamans depuis au moins 1 000 ans pour guérir spirituellement et physiquement. Cette boisson résulte d’un mélange de la vigne d'ayahuasca (Banisteriopsis caapi) et de l'arbuste de chacruna (Psychotria viridis), qui contient de la diméthyltryptamine (DMT) un composant psychoactif. A l’heure actuelle, certaines personnes consomment (illégalement) la DMT de façon purement récréative et racontent avoir atteint des états profonds de conscience altérée. Cetains disent même avoir vécu des sensations de mort imminente. Tous ces témoignages ont intrigué des chercheurs de l’Imperial College de Londres (Royaume-Uni) à tel point qu’ils ont essayé de comprendre ce qui se passait dans un cerveau sous l’emprise de cette “molécule de l’esprit”. D’après les résultats de leur étude parus dans la revue Scientific Reports, cette expérience serait une forme de rêve éveillé.
Ils ont donc recruté 13 volontaires (six femmes et sept hommes), âgés en moyenne de 34,4 ans et leur ont donné des doses contrôlées de DMT. Alors que les participants étaient sous drogue, les scientifiques ont enregistré une activité électrique dans leur cerveau au moyen d'électroencéphalogrammes (EEG).
Les chercheurs ont ainsi pu découvrir que les participants ayant reçu des injections de DMT présentaient une nette diminution des ondes alpha. Il s’agit des ondes cérébrales habituellement les plus présentes quand nous sommes éveillés et détendus. Pendant une courte période, ils ont revanche observé une augmentation des ondes thêta dans le cerveau des volontaires. Il s’agit d’ondes cérébrales associées au rêve. Enfin, chez les personnes sous DMT, l’activité cérébrale est devenue plus chaotique, ressemblant à ce qui se passe dans le cerveau lors d’une anesthésie générale ou un état de sommeil profond.
“C’est comme si elles rêvaient mais avec les yeux ouverts”
“Les changements dans l'activité cérébrale qui accompagnent la DMT sont légèrement différents de ce que l'on observe chez d'autres psychédéliques, comme la psilocybine ou le LSD, où l'on ne voit principalement que des réductions des ondes cérébrales”, explique Christopher Timmermann, auteur principal de l'étude.
Pourtant, “ici, nous avons vu un rythme émergent qui était présent pendant la partie la plus intense de l'expérience, suggérant un ordre émergent parmi les schémas autrement chaotiques de l'activité cérébrale. D'après les ondes cérébrales modifiées et les rapports des participants, il est clair que ces personnes sont complètement immergées dans leur expérience - c'est comme si elles rêvaient mais avec les yeux ouverts”, détaille-t-il.
“La DMT est une substance psychédélique particulièrement intrigante. La vivacité visuelle et la profondeur d'immersion produites par de fortes doses de la substance semblent être sur une échelle supérieure à ce qui est rapporté avec des substances psychédéliques plus largement étudiées, comme la psilocybine ou les ‘champignons magiques’”, commente Robin Carhart-Harris, co-auteur de l’étude.
Des expériences parfois traumatisantes
“Il est difficile de saisir et de communiquer ce que c'est pour les personnes sous DMT, mais il est utile de comparer cela à un rêve éveillé ou à une expérience de mort imminente. Nous avons le sentiment que la recherche sur la DMT pourrait nous permettre de mieux comprendre la relation entre l'activité cérébrale et la conscience, et cette petite étude est un premier pas dans cette direction”, conclut-il.
Dans les médias, on peut trouver quelques témoignages de personnes racontant leur première expérience de DMT. “Pendant quelques secondes, j'ai vu l'image de ma famille marchant main dans la main, en souriant – c'était limpide. Une scène d'une félicité absolue. Je me suis demandé comment c'était possible. C'était si net et en même temps, j'arrivais à voir à travers le plafond”, se souvient notamment un utilisateur interrogé par le site Vice.
Si ce témoignage a de quoi faire fantasmer, rappelons que, comme toutes les drogues, la DMT n’est pas sans danger. Sa consommation entraîne notamment des nausées et des vomissements. Mais c’est surtout au niveau psychique que les risques sont importants. En effet, les fortes modifications de la perception et de dissolution de sa propre identité peuvent être vécues comme traumatiques par certains. Sur le long terme, consommée trop régulièrement, cette substance peut également conduire à des troubles permanents au niveau de la perception de soi-même et de la réalité. Des psychoses latentes peuvent alors se révéler.