Alors que l’antibiorésistance, capacité d'un micro-organisme à résister aux effets des antibiotiques,devient progressivement un problème majeur de santé publique dans le monde entier, il y a urgence à mettre au point de nouveaux antibiotiques. Malheureusement, à l’heure actuelle, moins d’un pour cent des espèces connues de bactéries sont disponibles pour la recherche de substances actives. Les 99% restants sont considérés comme impossibles à cultiver et sont très peu étudiés. Des chercheurs Allemands ont toutefois décidé d’aller puiser dans les océans pour trouver des espèces bactériennes encore inconnues, sources potentielles d’antibiotiques. Les résultats prometteurs de leurs travaux sont parus le 18 novembre dans la revue Nature.
“Les producteurs (d’antibiotiques, NDLR) talentueux sont avant tout des micro-organismes aux modes de vie complexes, à la biologie cellulaire inhabituelle et aux génomes importants, explique le microbiologiste Christian Jogler, de l'université Friedrich Schiller de Iéna, en Allemagne. Ces organismes produisent des composés antibiotiques et les déploient dans la lutte contre d'autres bactéries pour les nutriments et les habitats”, ajoute-t-il. Ainsi, son équipe et lui ont eu l’idée de chercher de potentiels producteurs d’antibiotiques dans des zones où les nutriments sont rares et les batailles microbiologiques nombreuses.
Ils ont alors pensé aux planctomycètes, qui forment un phylum de bactéries aquatiques. “Nous savons que les planctomycètes vivent en communautés avec d'autres microorganismes et qu'ils sont en concurrence avec eux pour l'habitat et les nutriments”, explique Jogler. Aidés de robots plongeurs et de plongeurs scientifiques, le chercheur et son équipe ont exploré 10 sites marins et ramené des échantillons venant de la Méditerranée, de la mer du Nord, de la mer Baltique et de la mer Noire, ainsi que de l'Atlantique, du Pacifique et de l'Arctique.
“Ouvrir de nouvelles avenues thérapeutiques”
En laboratoire, ils ont réussi à créer des cultures pures de 79 nouveaux planctomycètes. “Ensemble, ces cultures pures représentent 31 nouveaux genres et 65 nouvelles espèces, explique Sandra Wiegand, autrice principale de l’étude. Les résultats de ces analyses montrent que les planctomycètes nouvellement obtenus ont un mode de vie extraordinairement complexe et ont le potentiel de produire de nouveaux antibiotiques”, ajoute-t-elle.
Les planctomycètes isolés “se divisent d'une manière très différente de toutes les autres bactéries pathogènes importantes”, détaille M. Jogler. Par ailleurs, leur étude montre de nouveaux mécanismes inattendus de division cellulaire bactérienne. Enfin, ces travaux montrent qu’il est possible d’obtenir et de caractériser en culture pure des bactéries prétendument “non cultivables”.
D’après les chercheurs, de nombreux aspects de leur recherche pourraient être transférés à d’autres producteurs d’antibiotiques potentiels. “La culture basée sur l'hypothèse et la caractérisation holistique sont essentielles pour découvrir quelque chose de vraiment nouveau et ouvrir de nouvelles avenues thérapeutiques”, conclut Jogler, très enthousiasme.
“La résistance aux antibiotiques menace notre mode de vie actuel”
Ces résultats sont parus pendant la semaine mondiale pour un bon usage des antibiotiques organisée par l’OMS, la FAO et l’Organisation mondiale de la santé animale, qui s'est déroulée du 18 au 22 novembre. Cette semaine avait pour but de sensibiliser le grand public et les professionnels de la santé à l’antibiorésistance.
Cette dernière “est un grave problème de santé publique mondial, qui progresse extrêmement rapidement, et qui s’accélère depuis les années 2000. La résistance aux antibiotiques menace notre mode de vie actuel et compromet toutes les avancées que la médecine a effectuées depuis plus de 70 ans. Si les habitudes de surconsommation d’antibiotiques ne sont pas stoppées, l’antibiorésistance pourrait devenir l’une des principales causes de mortalité dans le monde”, alerte le ministère de la Santé sur son site.
Fort heureusement, en matière de consommation d’antibiotiques, la France fait de légers progrès, selon des récentes estimations de Santé Publique France. Après analyse, “des résultats encourageants sont observés : la consommation globale des antibiotiques, exprimée en doses définies journalières (DDJ), se stabilise. Exprimée en nombre de prescriptions, elle baisse de 15% de 2009 à 2018”, note ainsi le rapport.