“Je suis extrêmement honorée et émue de vous présenter ici quelques travaux de notre unité de recherche”. Devant une centaine de personnes, la professeure Catherine Marchand-Leroux, chercheuse à la faculté de pharmacie (université Paris Descartes), a reçu mercredi 27 novembre un prix de 50 000€ de la Fondation des Gueules Cassées pour ses travaux sur le traumatisme crânien. L’événement avait lieu à deux pas de la Madeleine (Paris VIIIe) dans le magnifique hôtel particulier de l’association, qui, depuis 2002, récompense des projets de recherche dans le domaine de la traumatologie cranio-maxillo-faciale.
“Le traumatisme crânien est un problème majeur de santé publique. C’est la première cause de mortalité chez les jeunes de moins de 30 ans. On l’estime à ce jour 20 000 cas par an en France, dont 10 000 présentant des séquelles. C’est une pathologie qui se généralise puisqu’elle touche de plus en plus l’ensemble de la population, notamment du fait de son vieillissement. Malheureusement, à ce jour, on a qu’un traitement symptomatique proposé aux patients traumatisés crâniens”, introduit la chercheuse dont l’objectif à long terme serait donc de pouvoir proposer un médicament préventif.
Catherine Marchand-Leroux développe : “Or, suite au choc traumatique, on va avoir la lésion primaire sous forme de contusion, d’hémorragie, de déficit énergétique mais également de réponse neuro-inflammatoire. Cette lésion primaire va évoluer dans les heures et les jours qui suivent en lésion secondaire, notamment dans des altérations de la substance blanche du cerveau, en particulier avec le phénomène de démyélinisation. Et on sait aujourd’hui que ces altérations de la substance blanche vont conduire dans les heures, les semaines, les mois, voire les années, au déficit moteur, cognitif et émotionnel que l’on peut observer chez les patients traumatisés.”
“Irritabilité, difficultés à prendre une décision…”
“Ces problèmes vont se manifester par une dépression, une maladie neurodégénérative, un état de stress post traumatique… Le malade pourra souffrir d’irritabilité ou avoir des difficultés à prendre une décision. Vous avez les dégâts moteurs liés au choc mais on s’aperçoit que, sur le long terme, des choses qui arrivent sont liées au traumatisme ayant eu lieu plusieurs années avant”, explique la chercheuse à Pourquoi Docteur. Pour comprendre les mécanismes en jeu, son équipe et elle ont donc décidé de se concentrer sur l’inflammation qui se produit dans le cerveau après le choc.
“Il s’agit d’une notion nouvelle. On sait que le cerveau est dans une boîte fermée, protégée, et on sait maintenant qu’après le traumatisme crânien, se produit une inflammation du cerveau, la neuro-inflammation, qui perdure des années après le choc. On voudrait donc agir sur cette neuro-inflammation”, poursuit la scientifique qui a déjà réalisé de nombreux travaux l’encourageant à poursuivre dans cette voie.
Dans le détail, l’inflammation causée par un choc pousse la cellule microglie à libérer des substances toxiques détruisant la myéline, la gaine qui protège les fibres nerveuses, et les neurones. Or, les fibres nerveuses et la myéline composent la substance blanche qui relie les neurones, communément appelés substance grise. Quand la substance blanche est endommagée, les lésions induites peuvent entraîner des séquelles à long terme. L’objectif de Catherine Marchand-Leroux et de son équipe est donc de faire basculer la toxicité vers la protection : moduler, plutôt que de stopper l’inflammation post-traumatique pour stimuler la remyélinisation. Pour ce faire, les scientifiques se sont intéressés de près à l’inhibition de l’enzyme PARP et à son effet sur la neuro-inflammation et la régénération de la myéline.
“Le prix d’aujourd’hui est une reconnaissance pour l’équipe”
“On a déjà fait des études avec certaines molécules où on a montré qu’il était possible de traiter des animaux quelques heures ou quelques jours après le choc. Quand vous les reprenez trois mois après, sans autres traitements, vous voyez qu’il a été possible de réduire un certain nombre de conséquences du traumatisme crânien”, explique Catherine Marchand-Leroux .
Aujourd’hui, grâce au prix de la Fondation des Gueules cassées, la chercheuse et son équipe vont pouvoir aller encore plus loin dans ces travaux. “Notre modèle de traumatisme crânien est désormais pertinent (…) grâce à trois thèses cofinancées par la Fondation des Gueules Cassées. Nous allons désormais pouvoir démarrer des essais in vivo avec des molécules dont on sait qu’elles peuvent ‘faire bouger’ le processus neuro-inflammatoire et donc le ratio démyélinisation/remyélinisation”, détaille-t-elle.
“Je suis soutenue par la Fondation depuis 2005. Je travaille toujours avec un boursier financé par les Gueules Cassées et ils m’aident chaque année. La dotation du gouvernement n’est pas grasse, donc on est obligé de trouver de l’argent ailleurs mais cela fait rencontrer plein de nouvelles personnes passionnantes. Le prix d’aujourd’hui est une reconnaissance pour l’équipe. Quand on fera d’autres demandes de financement, le fait d’avoir été lauréats ici rentrera en ligne de compte, ainsi que dans les évaluations du gouvernement”, se réjouit-elle.
Le médicament n’est pas pour demain
Mais quand son équipe et elle réussiront-ils à aboutir à l’application thérapeutique tant désirée ? Cela reste pour l’heure impossible à déterminer. “Je n’ai pas d’éléments de réponse et je ne veux pas donner de faux espoirs. Entre le moment où on a identifié des cibles thérapeutiques et où on réussit à convaincre les neurologues de faire des essais cliniques, cela peut prendre des années”, déplore-t-elle.
Les choses semblent toutefois avancer dans la bonne direction puisque “les neurologues commencent enfin à comprendre ce que l’on fait. Aujourd’hui on a des partenariats avec des médecins et là on est en train de réunir une cohorte de patients” pour des études futures, avance-t-elle, refusant toutefois d’en dire plus.
Mais en attendant que le modèle de traumatisme crânien testé sur les animaux soit confirmé sur les humains, reste à se réjouir de l’acceptation du terme même de “stress post traumatique”. “Mis à part découvrir un médicament thérapeutique, l’état de stress post-traumatique est aujourd’hui admis dans la population. En 14-18 quand les soldats refusaient de retourner au front, on les fusillait, ce n’était pas reconnu. Cela l’a finalement été avec le Vietnam et on sait aujourd’hui que cela existe vraiment”, déclare Catherine Marchand-Leroux, avant de conclure : “Que les patients sachent pourquoi ils sont dans cet état-là est déjà énorme et cela facilite grandement la prise en charge.”