Chaque année, 3,3 millions de personnes meurent de l’alcool dans le monde (soit 5,9% de l’ensemble des décès selon l'Organisation mondiale de la Santé). Et pourtant, il n’existe à l’heure actuelle que très peu de médicaments efficaces pour traiter l’alcoolisme. Toutefois, une nouvelle étude pourrait bien changer la donne. Selon des travaux parus le 26 novembre dans la revue Nature Communications, une simple injection de kétamine, un psychotrope illicite utilisé comme anesthésique général, pourrait aider les alcooliques à réduire la cadence en changeant les souvenirs qu’ils associent à la boisson.
Pour le Dr Ravis Das, psychopharmacologue, chercheur à l'University college de Londres (Grande-Bretagne), si les médecins ont autant de mal à guérir les patients alcooliques c’est car ils ne prennent pas compte des bons souvenirs liés à la consommation d’alcool. Il a donc eu l’idée d’utiliser la kétamine pour cibler les souvenirs des gros buveurs.
Pour cette étude, son équipe et lui ont recruté 90 personnes buvant beaucoup plus que la moyenne mais qui n’avait jamais été traitées contre l’alcoolisme. Les participants ont d’abord été exposés à des photos de bière et ont même pu en boire en laboratoire. Pendant ce temps, ils ont décrit leur envie de bière, le plaisir de boire et, une fois la bière terminée, leur désir d’en boire une autre.
Une consommation d’alcool réduite de moitié
Quelques jours plus tard, les participants ont été répartis en trois groupes. Les chercheurs ont montré aux membres du premier groupe des photos de bière et au second de jus d’orange. Puis, ils leur ont administré une dose intraveineuse de kétamine. Le troisième groupe a quant à lui regardé des images de bière et reçu un placebo.
Une semaine plus tard, les volontaires qui avaient regardé les images de bière avant de recevoir la kétamine ont déclaré avoir moins envie de boire. Neuf mois plus tard, leur consommation d'alcool était toujours divisée par deux. Cela pourrait s’expliquer car la kétamine bloquerait certains récepteurs du cerveau liés au souvenir du plaisir de boire.
Mais étonnamment, après l’étude, les autres participants avaient eux aussi grandement diminué leur consommation d’alcool. Sans doute car cette expérience leur a aidé à prendre conscience de leur problème.
"Le comportement peut changer pour toutes sortes de raisons qui ne sont pas spécifiques au traitement expérimental. Ce qui est intéressant ici, c'est le déclin initial de la consommation d'alcool chez les personnes qui consommaient de la kétamine alors qu'on leur rappelait la bière", commente David Epstein, chercheur en toxicomanie du National Institute on Drug Abuse de Baltimore (Etats-Unis), cité par Science News.
La kétamine pourrait également traiter la dépression
D’autres recherches sont désormais nécessaires pour confirmer l’effet à court terme de la kétamine sur la consommation d’alcool et établir combien de temps cela peut durer. Les chercheurs prévoient de tester cette substance sur un plus grand nombre de gros buveurs.
La kétamine étant une drogue illicite à laquelle on peut devenir dépendant, elle pourrait faire peur à de nombreuses personnes qui voudraient traiter leur alcoolisme. Mais si une dose unique peut ralentir la consommation excessive d'alcool, "c'est un compromis assez facile à faire du point de vue de la santé ", explique Das. "Si ça marche, ça marche", poursuit le chercheur qui travaille également à essayer d’affaiblir d’autres types de souvenirs problématiques, comme ceux impliqués dans le syndrome de stress post-traumatique.
Ces derniers temps, la kétamine est de plus en plus testée par les chercheurs. Il y a peu, une étude a démontré que cette substance pouvait également avoir un effet rapide, voire immédiat, contre les symptômes dépressifs. D’après les chercheurs, les deux tiers des participants de leur étude qui ne répondent pas aux antidépresseurs traditionnels ont connu une rémission rapide et durable de leurs symptômes dépressifs après avoir reçu de la kétamine en intraveineuse.
Car sous l’effet de cette substance, les protéines G, dont l’accumulation dans le cerveau est en partie responsable du développement de symptômes dépressifs, sont détruites beaucoup plus rapidement que sous l’effet des antidépresseurs classiques, expliquent les scientifiques. Et de rappeler par ailleurs que les médicaments mettent des semaines à agir sur la dépression, laissant un champ temporel important aux tentatives de suicides du patient.