22 000 m2, 600 chercheurs, 65 millions d'euros… L'Institut du cerveau et de la moelle épinière, dont la première pierre vient d'être posée, voit les choses en grand. L'ambition de l'ICM est de taille : « être le plus grand centre de recherche au monde sur les maladies neurologiques et psychiatriques comme la sclérose en plaques, les maladies d'Alzheimer ou de parkinson, l'épilepsie, l'autisme, la schizophrénie, les dépressions… et sur les traumatismes du cerveau et de la moelle épinière ». Les trois cerveaux à la tête de l'ICM sont aussi des pointures puisqu'il s'agit de trois professeurs de la Pitié-Salpêtrière : Gérard Saillant, chef du service de chirurgie orthopédique, Yves Agid, directeur de l'institut fédératif des neurosciences et Olivier Lyon-Caen, neurologue. Pour atteindre leur objectif, les fondateurs ont un premier credo, c'est l'horizontalité. Pas question de découper la recherche sur le cerveau en tranches, pathologie par pathologie. Ni de séparer recherche fondamentale et recherche clinique. A l'occasion de la remise du rapport Alzheimer en décembre 2007, le Pr Michel Clanet, président de la Fédération française de neurologie, avait d'ailleurs regretté « qu'il n'y ait pas de réflexion générale sur les neurosciences car le domaine des maladies du cerveau dépasse la seule maladie d'Alzheimer ». L'ICM comble donc cette lacune. Mais il n'est pas le seul. L'ensemble de la recherche française se réorganise sur ce modèle. Toutes les unités Inserm ont par exemple regroupé leurs forces pour ne former plus que huit instituts thématiques. Et le CNRS vit la même métamorphose.
A la recherche d'investisseurs privés L'autre particularité de l'ICM, c'est son financement. La Fondation a décidé de jouer à fond la carte des financements privés. Et là aussi, elle est dans l'air du temps puisque le gouvernement est bien décidé à doper les investissements privés dans la R&D. Il a notamment simplifié le crédit d'impôt recherche. Concrètement, les 65 millions d'euros pour construire le bâtiment de l'ICM viendront à 50% d'investisseurs privés. Quant au budget de fonctionnement, l'Etat l'assumera en grande partie puisque les chercheurs seront issus du public (Inserm, CNRS, AP-HP, etc). Mais « nous avons besoin de trouver chaque année 15 millions d'euros pour apporter une valeur ajoutée à l'ICM, rappelle son président, le Pr Gérard Saillant. Cela nous permettra notamment d'avoir quatre IRM 3 teslas et une à 7 teslas. Car une IRM, ça vaut à peu près un million du tesla. Faites le calcul… L'Etat ne peut pas tout faire ». Pour décrocher le gros lot, l'ICM compte sur ses très médiatiques parrains que sont Jean Reno ou Luc Besson. L'Institut du cerveau ressemble donc fort à une vitrine de la recherche française. Certains applaudissent des deux mains. Pour Claire Cachera, secrétaire générale de la Fédération pour la recherche sur le cerveau, « l'ICM est un modèle à suivre. Il est évident que des recherches sur une pathologie ouvre des passerelles sur d'autres. Regrouper nos forces, c'est aussi le seul moyen pour que la recherche française soit visible hors de nos frontières. » Du côté des chercheurs eux-mêmes, ce modèle ne fait pas l'unanimité. Pour Bertrand Monthubert, président de l'association Sauvons la recherche, « avec la création d'Institut comme l'ICM, on se demande s'il y a un pilote dans l'avion. Cela devient difficile d'élaborer une politique scientifique globale. Chacun va se battre pour sa paroisse, à coup de personnalités médiatiques », regrette-t-il. Une chose est sûre, la recherche française manque de carburant. Un récent rapport sur notre stratégie de recherche et d'innovation rendu public par le Sénat, dévoile que la France se classe parmi « les pays suiveurs » et non parmi « les champions de l'innovation ». Questions au Pr Gérard Saillant, président de l'Institut du cerveau et de la moelle épinière
Réunir chercheurs, médecins, malades
Quelle est la valeur ajoutée de cet Institut par rapport à d'autres unités de recherche ? Pr Gérard Saillant. La première originalité de l'ICM, c'est sa transversalité. Il prend en charge l'ensemble des recherches concernant les lésions sur le cerveau et la moelle épinière. Que ces lésions soient d'origine traumatique, dégénérative, infectieuse ou tumorale. La deuxième spécificité réside dans le caractère international de l'Institut. En effet, 30% des chercheurs viendront suite à des appels d'offres internationaux. Enfin, la troisième particularité, c'est que seront réunis sur un même lieu le malade, le chercheur et le médecin. Ainsi, nous pourrons raccourcir les délais entre la découverte d'un médicament ou d'une technique et le moment où le patient en bénéficie.
L'ICM a-t-il un rôle d'animateur de la recherche sur le cerveau au niveau national ? Pr G.S. Il sera en tout cas un des maillons importants de la chaîne. Nous voulons travailler en réseau avec les centres de recherche extrêmement performants qui existent déjà en France. Et nous ne prétendons pas détenir la vérité à nous tout seuls. L'ICM entend mettre à disposition des chercheurs où qu'ils se trouvent son plateau technique ultra-performant. Et ainsi permettre à tous ces chercheurs d'être les meilleurs.
La France va-t-elle ainsi rattraper son retard en matière de recherche ? Pr G. S. Je tiens à rappeler que la France est le berceau des neurosciences. C'est historique. Mais, aujourd'hui, pour rester dans la compétition, voire rattraper un certain retard, il faut d'énormes moyens. Cela ne passera que par d'énormes réunions de plateaux techniques. Et l'ICM entend jouer un rôle important pour que la France et l'Europe restent dans la course. Entretien avec C.C |