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La chronique du Dr Lemoine

Quand le froid sauve le cerveau...

Par le Dr Jean-François Lemoine

L’information brute avait rendu perplexe plus d’un médecin. Un homme aurait survécu à un arrêt cardiaque de 18h… On sait que privé de sang une dizaine de minutes, les dégâts cérébraux sont irrémédiables ; quelques dizaines de minutes dans des conditions exceptionnelles de réfrigération. Pendant 19h… Il y a quelques explications possibles, exceptionnelles mais qui supposent une circulation sanguine à minima ; pas un arrêt cardiaque absolu.

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Les faits 

« La famille d'un homme de 53 ans s'inquiète. Il était censé revenir d’un rendez-vous. Il n'arrivera jamais à son domicile. Quand ils prennent conscience de sa disparition, ses proches retracent son itinéraire.

Ils tombent rapidement sur leur parent. Ce dernier gît, inanimé, au bord d’une rivière. On soupçonne un malaise. Aucune trace de violence. Ni de signes indiquant une chute dans le fleuve.

La victime est inconsciente, en arrêt cardiaque. La température de son corps est tombée à 22 degrés, soit un niveau d'hypothermie majeure. »

Un arrêt progressif

La famille de cet homme va alerter le SMUR, qui va procéder à un massage cardiaque de 4h30, sans résultats, puis va le brancher à une machine qui, à l’extérieur du corps, jouera le rôle d’un cœur artificiel. A l’issue de ces manœuvres exceptionnelles, le cœur va accepter, grâce à des chocs électriques, de fonctionner à nouveau, de façon autonome.

Que nous apprend cette histoire ?

Tout d’abord qu’il faut éviter de parler de miracle, parce que tout est explicable…

Il est d’abord probable que, lorsque le SMUR est arrivé, l’arrêt cardiaque était très récent. Sinon malgré tous les efforts, la réanimation n’aurait servi à rien.

La température du corps, 22 degrés, va expliquer la suite. Elle signifie que cet homme est tombé dans le coma, progressivement, sans connaître un arrêt cardiaque brutal et long, qui aurait détruit ses cellules nerveuses. Même un cœur très ralenti assure la vascularisation du cerveau, qui est toujours une priorité du corps. C’est inscrit dans nos gènes. C’est d’ailleurs pour cette raison que le massage, même de mauvaise qualité, sauve des vies, en poursuivant la fourniture de sang au cerveau. Les autres organes peuvent attendre.

Pourquoi une réanimation aussi longue ?

Tous ceux qui ont eu à vivre une réanimation cardiaque qui a échoué, seront surpris par la durée de cette intervention du SMUR. Généralement, les messages cardiaques durent beaucoup moins longtemps. Mais c’est la température du corps qui a justifié cette réanimation hors norme. Cela fait d’ailleurs longtemps que les urgentistes planchent sur la question. S’inspirant des survies miraculeuses lors de noyades dans l’eau glacée, ils proposent désormais des sortes de casques réfrigérants et des substances glaçantes qui, injectées très tôt, permettent d’augmenter la survie du cerveau de plusieurs dizaines de minutes après un arrêt cardiaque. Un progrès immense ; rien à voir avec Hibernatus, mais la voie de recherche la plus moderne. L’ancien ministre Jean-Pierre Chevènement avait bénéficié, il y a longtemps, de cette technique de « réfrigération » dans un bloc chirurgical, lors d’une intervention anodine et une allergie aux produits anesthésiants qui avait provoqué un arrêt cardiaque.

Les exemples de ce type ne sont pas rarissimes

On se souvient d’une jeune fille qui avait survécu à une catastrophe aérienne à Washington. Son avion s’était englouti sous la glace des eaux du Potomac. Plusieurs heures sans respirer. Là aussi, le froid l’avait sauvée.

Plus près de nous, l’histoire d’un ado qui a survécu à un vol entre la Californie et Hawaï caché dans le train d’atterrissage d’un avion de ligne. Plus de 5 heures exposé, à la fois à une température de -60 degrés et au manque d’oxygène dû aux 11 000 mètres d ‘altitude du vol. Il avait été retrouvé sur le tarmac, une heure après l'atterrissage. On pense qu’il aurait perdu connaissance pendant le trajet, mais se serait réveillé sans aucune aide et serait sorti seul de l'appareil. Les explications sont les mêmes que pour tous ces cas exceptionnels. À l’extérieur d’un avion de ligne, quand il est à son altitude de croisière, il fait entre -40 et -60°. Le logement du train d’atterrissage était relativement isolé de l’extérieur, tous les systèmes hydrauliques et les pneus ayant été mis en chauffe par le roulage, puis le décollage de l’avion, le froid est arrivé très progressivement, et l’enfant a perdu connaissance petit à petit.

Jusqu’où peut descendre la température du corps ?

On a réussi à sauver des personnes, en montagne ou en mer, malgré des températures corporelles très basses, comme 17° degrés. Mais généralement, en-dessous de 25°C, on a très peu de chances de s’en sortir, même à hôpital, avec de l'oxygène et des moyens techniques pour réchauffer le corps. L’homme de Béziers, à 22 degrés, était proche des conditions très limites. Pour l’oxygène, l’exemple du passager clandestin a aussi une explication : à 10 ou 11 000 mètres, il ne reste pas beaucoup d’oxygène. Il faut savoir qu’au-delà de 6 000 ou 7 000 mètres, sans bouteille de secours, on tombe dans le coma. Les alpinistes peuvent monter jusqu'à 8 000 mètres ou plus, comme à l’Everest, mais c'est parce qu'ils s'habituent très progressivement et qu’ils ont fabriqué avant leur ascension des globules rouges. C’est pourquoi ce jeune homme a dû perdre connaissance au bout d'une demi-heure de vol maximum. Mais comme il était en hypothermie et qu’on consomme dans ces cas beaucoup moins d’oxygène qu’à température corporelle normale, là encore le froid l’a protégé du manque d’air ! Le plus incroyable est qu’il s’est réchauffé progressivement pendant toute la descente, a repris conscience avant l’atterrissage puisqu’il n’est pas tombé quand les roues sont sorties… mais surtout qu’il a été retrouvé marchant tout seul et qu’il a parlé… Donc pas de séquelle neurologique, ni de gelures des membres… Quand on est réveillé et réchauffé, on est sorti d’affaires !

Dr Jean-François Lemoine

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