L’histoire est jolie. A Aix-en-Provence, une femme de 63 ans persuadée d’être fille unique a découvert grâce à des tests ADN qu’elle avait cinq frères et sœurs d’un père américain, rapporte France Bleu Provence cette semaine. Si la découverte de cette fratrie a été un vrai bonheur pour la sexagénaire, les retrouvailles avec sa famille biologique ne sont pas toujours si simples. “Tout va dépendre de ce que vous projetez dans la famille que vous retrouvez”, explique à Pourquoi Docteur Jean Louis le Run, pédopsychiatre spécialisé dans l’adoption et rédacteur en chef de la revue Enfance et Psy.
Toute sa jeunesse, Corrine taraude sa mère pour connaître l’identité de son géniteur, en vain. Un jour, son fils décide de faire des tests ADN pour remonter le fil de son arbre généalogique. Il découvre alors que sa mère a une sœur, qui vit tout près de chez elle, dans le Vaucluse. Les deux femmes se donnent rendez-vous dans un restaurant. “Ca a été fusionnel tout de suite”, raconte Corrine à France Bleu. Au cours du repas, sa sœur lui apprend que leur père est américain.
Après d’autres tests ADN, Corrine découvre l’existence d’une grande famille. “C'est un papa américain qui est venu en France avec une jeune femme dans les années 50. Il a eu un premier enfant en France, mon frère Larry, qui habite dans l'État de New-York. Ensuite il y a eu ma sœur du Vaucluse, puis sept mois plus tard, c'était moi. Manifestement, il trompait sa femme. Après ma naissance, il y a eu celle de Sheryl, aux Etats-Unis, ce qui laisse penser qu'il est rentré quand j'étais encore bébé. Et puis Shella est née et enfin Shelley. Nous sommes six”, explique-t-elle.
“Ça tombe sous le sens”
Pas trouillarde pour deux sous, Corrine contacte immédiatement les autres membres de la fratrie qui l’accueillent avec bonheur. Depuis quelques mois, ils échangent quotidiennement des messages où ils se racontent leur vie via les réseaux sociaux. “Ça tombe sous le sens”, se réjouit-elle, amusée des ressemblances physiques qu’elle constate sur les photos. En tout, depuis qu’elle découvert l’identité de son père, 60 personnes ont pris contact avec elle, certains oncles et tante vivant même au Canada.
Sa sœur Shéryl a pris un billet d’avion pour venir la voir une semaine à Aix-en-Provence fin janvier. Puis, en avril, Corrine ira aux Etats-Unis pour rencontrer chacun de ses frères et sœurs.
Si l’histoire de cette sexagénaire a de quoi faire rêver n’importe quelle personne en quête de sa famille biologique, malheureusement, les retrouvailles ne sont pas toujours aussi simples. “Là, on parle d’une femme de 63 ans, elle n’a pas grand risque, elle est déjà construite. Soit ça se passe mal et elle prend ses distances, soit ça marche et c’est un plus. C’est évidemment différent quand il s’agit d’un jeune adulte. Sa réaction face à sa famille biologique dépendra de ses ressources psychiques pour faire face à une découverte complexe ou à un rejet éventuel”, explique Jean-Louis Le Run.
“Souvent, ce besoin de découvrir d’où l’on vient démarre à l’adolescence. La nature a horreur du vide : quand il manque quelque chose, on a envie de remplir. Soit on va le remplir avec des fantasmes en imaginant des tas de choses, soit on a envie d’élucider le mystère et c’est vrai que cela permet de se sentir un peu plus complet, même si l’origine biologique n’est pas ce qui construit vraiment l’identité. Beaucoup de personnes n’ont pas envie d’aller chercher ce parent inconnu car elles ont peur de vivre un nouvel abandon. On peut vivre sans connaître son origine. Certains s’en accommodent, ça reste une part secrète, localisée, contenue, cela ne les empêche pas de vivre même s’il manque quelque chose”, poursuit le spécialiste.
Des retrouvailles facilitées par les nouvelles technologies
Par ailleurs, les conséquences des retrouvailles avec la famille biologique seront bien sûr très différentes en fonction de la situation de l’enfant. Il peut s’agir d’un enfant né d’une procréation médicale assistée avec donneur qui veut connaître le parent biologique anonyme, d’un enfant adopté à l’étranger ayant vécu quelques années avec sa famille biologique et veut la retrouver ou, comme dans le cas de Corrine, d’un enfant dont la mère refuse de délivrer l’identité car c’est trop douloureux pour elle ou qu’elle l’ignore. Ensuite, tout dépendra bien sûr de ce que l’on projette sur cette famille.
“Les conséquences d’une telle rencontre ne seront pas les mêmes pour quelqu’un qui est bien avec les repères dont il dispose et a de bonnes relations avec sa famille adoptive et un enfant qui est en difficulté dans sa famille actuelle et qui mise beaucoup sur un parent qu’il ne connaît pas. Quand les parents nous déçoivent et qu’on est enfant, on a tous tendance à s’imaginer qu’on descend de gens formidables. Dans les situations où le parent n’est pas connu, ce type de fantasme est encore plus propice. Mais quelques fois, on dispose quand même de certaines informations qui nous indiquent que la rencontre risque de ne pas être formidable. Quand on sait par exemple qu’on a été abandonné par un parent malade mental”, explique Jean-Louis Le Run.
Il y a encore une dizaine d’années, retrouver sa famille d’origine était un long processus compliqué qui décourageait la plupart des gens de se lancer dans l’aventure. Aujourd’hui, avec les progrès de la recherche génétique, il est très facile de réaliser des tests de paternité, de maternité ou de fratrie à partir d’un prélèvement de salive. Quant aux enfants nés sous X, il existe depuis 2002 une structure pour les aider et les orienter : le Conseil national pour l'accès aux origines personnelles. Ce dernier propose notamment aux femmes qui accouchent dans le secret de laisser quelques informations dans leur dossier. Celles-ci peuvent être transmises aux enfants qui entreprennent des recherches et, plus tard, la structure peut proposer une rencontre que la mère aura le droit de refuser.
S'assurer qu'on a pas trop idéalisé la famille en face
Tous ces nouveaux moyens ont bien sûr des avantages, “car cela peut permettre à certains d’avancer quand ils sont bloqués et n’arrivent pas à se construire une identité solide”, explique Jean-Louis Le Run. C’est à double tranchant. “Si ce qu’ils découvrent est positif c’est formidable, si c’est douloureux : seront-ils capables d’aller de l’avant et de passer à autre chose ou rumineront-ils pendant des années ?”, s’interroge le pédopsychiatre. Aussi, il recommande aux personnes qui veulent se lancer dans ce type de démarche de bien réfléchir en amont à ce qu’elles en attendent et quel vide cela pourra combler.
“Il faut tout d’abord s’assurer qu’on n’a pas trop idéalisé la famille en face, car on peut tomber de plus ou moins haut selon la hauteur où on place cette rencontre ou cette révélation. Il faut peut-être également envisager de se faire accompagner, surtout pour les personnes très jeunes qui n’ont pas forcément encore des assises narcissiques très solides. Un psychologue peut vous accompagner dans la démarche et servir de garde fou ou d’enveloppe protectrice”, indique-t-il.
Jean-Louis Le Run conclut : “Dans le fond, retrouver sa famille peut être important mais cela n’est pas toujours indispensable. On peut vivre avec un manque dans la vie, il faut juste arriver à en faire le deuil. C’est préférable, si on ses deux jambes mais on peut être plus heureux sur une jambe que sur deux. Il y a des gens qui ont leurs deux parents et qui sont malheureux. Certains n’en ont qu’un, ne savent pas qui est l’autre et qui vont bien. Cela n’est pas un absolu.”