“Noyer son chagrin dans l’alcool”. Tout le monde connaît cette expression et sait que le mal-être a tendance à pousser les gens à prendre de mauvaises décisions et à se réfugier dans des comportements à risque, qu’il s’agisse d’alcool, de drogue ou de cigarette. Concernant cette dernière, la tristesse, plus que n’importe quelle autre émotion négative, augmente l’envie de fumer, démontre aujourd’hui une étude parue dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences.
Pour en arriver à cette conclusion, des chercheurs de la Harvard Kennedy School (Etats-Unis) ont analysé les données d’une enquête nationale menée auprès de plus de 10 000 personnes sur une période de 20 ans. En parallèle, ils ont mené d’autres expériences, montrant des clips vidéos tristes à des fumeurs pour évaluer leur envie de fumer sur le moment, ou testant le volume et la fréquence des bouffées réelles de cigarettes de fumeurs pour évaluer leur impatience.
Ils ont ainsi constaté que la tristesse déclarée par les participants était associée au fait de fumer. Plus les participants étaient tristes, plus ils avaient tendance à être fumeurs. Dans l’une des expériences, les volontaires qui avaient visionné un clip vidéo triste avaient plus envie de fumer que les autres. Dans une autre, les fumeurs qui se sentaient déprimés faisaient état d’une plus grande impatience face à la cigarette et ont fumé de plus grands volumes par bouffée.
“La tristesse semble être un déclencheur particulièrement puissant”
Jusque-là, on pouvait imaginer que “tout type de sentiments négatifs, que ce soit la colère, le dégoût, le stress, la tristesse, la peur ou la honte, rendrait les individus plus susceptibles de consommer une drogue qui crée une dépendance”, commente le chercheur principal, Charles A. Dorison. Mais “nos travaux suggèrent que (…) la tristesse semble être un déclencheur particulièrement puissant de la consommation de substances addictives”, poursuit-il.
A terme, ces résultats pourraient avoir des répercussions positives sur la politique publique menée aux Etats-Unis, espèrent les chercheurs. Les campagnes publicitaires antitabac actuelles pourraient par exemple être modifiées pour éviter les images qui provoquent la tristesse des consommateurs et augmentent ainsi inconsciemment leur envie de fumer.
“Nous croyons que la recherche fondée sur la théorie pourrait aider à faire la lumière sur la façon de faire face à cette épidémie (…) Nous avons besoin de connaissances dans plusieurs disciplines, dont la psychologie, l'économie comportementale et la santé publique, pour faire face à cette menace de manière efficace” , conclut Charles Dorison.
Ce n'est pas la première fois que des chercheurs font le lien entre tristesse et cigarette. Cet été, une autre étude américaine avait notamment démontrer qu'arrêter de fumer pouvait avoir une influence très négative sur le moral. Dans le passé, d'autres travaux avaient associé troubles mentaux et tabac alors que le fumeur en consommait encore.
Maladies cardiovasculaires, cancers, problèmes de fertilité…
Le tabac est un enjeu de santé public mondial. La fumée d’une cigarette contient plus de 7000 substances chimiques. Parmi elles, 69 sont reconnues comme cancérogènes. A long terme, les fumeurs sont plus susceptibles de souffrir de maladies cardiovasculaires, de problèmes respiratoires ou pulmonaires, comme de l’asthme ou une toux excessive, et de certains types de cancer, surtout du poumon. Le tabagisme est également connu pour entraîner des problèmes de fertilité de menstruation chez les femmes, et d'érection chez les hommes. D’après les scientifiques, au moins la moitié des fumeurs mourront des suites de leur consommation de tabac. En effet, leur espérance de vie est diminuée d’au moins dix ans par rapport à celle des non fumeurs. Malheureusement, une à quatre cigarettes par jour suffisent à augmenter le risque de mourir prématurément.
En France, pays de la cigarette par excellence, des années de lutte nationale contre le tabagisme ont fini par payer. D’après Santé publique France, la prévalence du tabagisme quotidien est passée de 29,4% en 2016 à 26,9% en 2017, soit un million de fumeurs quotidiens de moins en un an.