Autrefois, lorsqu’on arrivait aux États-Unis, deux choses sidéraient les touristes européens : la taille des immeubles et des voitures. La référence aux buildings de la Défense et l’inflation du prix de l’essence ont fini, en une trentaine d’années, par gommer ces différences. Il est désormais difficile, en sortant d’un aéroport, de savoir sur quel continent on se trouve. En revanche, passée la porte du moindre restaurant, pas de confusion possible.
Déjà, le Gaulois n’aime pas beaucoup les serveurs qui vous accueillent, aux Etats-Unis, par un : « Comment va mon pote » ? Primo, nous ne sommes pas leur pote, et deuxio, ils n’écoutent jamais la réponse… Suit un descriptif dithyrambique de la pâtée qu’on va nous servir. C’est fou comme plus l’imagination du chef est en berne, plus la serveuse est logorrhéique.
Il n’y a que dans les trois étoiles français que l’on assiste à des envolées lyriques de ce style mais parfaitement justifiées.
Passé ce délicat instant de postillonnage gastronomique, arrivent – assez rapidement, ce qui n’arrange pas le cas du gros mangeur qui va pouvoir s’en donner à cœur joie – le plat principal et toute une série de petites coupelles de produits d’accompagnement qui, en un instant, couvrent la totalité de la table. L’expression « triple XL », bénie des gros chez Ralph Lauren où elle est rarissime, est en revanche sur toutes les cartes. Et si vous avez un instant d’étouffement, pas de problème, la serveuse est attentive pour vous « refueler » – c’est l’expression qu’elle emploie – gratuitement pour les sodas, par demi-litre pour la bière ou le vin !
Une cuisine de destruction massive
Les terroristes peuvent dormir tranquille. Les Américains, avec leur culture gastronomique, ont inventé des armes de destruction massive qu’ils sont en train d’offrir au monde entier. Si l’on veut comprendre pourquoi ce pays est passé de « Jurassic Park » à « Mammouth Park » en cinquante ans, la taille des portions en est une des principales raisons. Probablement la plus importante au quotidien, mais surtout la plus perverse. Car tout le monde est content : le consommateur, qui a l’impression d’en avoir vraiment pour son argent, et le restaurateur, qui a profité de ces promotions « super size » pour augmenter progressivement ses prix. D’ailleurs, il fait part de sa satisfaction au client : au cas où le « pote » serait momentanément rassasié, le « Doggy bag » est là pour lui permettre de poursuivre le festin à la maison, rajoutant au passage la petite note d’hypocrisie canine, qui convient si bien à la culpabilité passagère du dévoreur.
Une expérience sensorielle complète
Détails supplémentaires : un restaurant américain typique, c’est 100 décibels en continu – le Concorde au décollage affichait un petit 120 ponctuel, ce qui l’a tué aux Etats-Unis – et un éclairage d’une faiblesse telle qu’on risque à chaque instant de se mordre les doigts. Merci à tous ces charmants endroits à qui l’Amérique doit une partie non négligeable de ses kilos en excès ! Mais pitié ! Il faut refuser de voir cette cérémonie hypocrite s’installer chez nous.
Docteur Jean-François Lemoine
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