Les psychiatres ont ainsi défini une douzaine de types de personnalité auxquels il est probable que chacun de nous se rattache. Alors le monde moderne, très friand de psychiatrie, s’est délecté à la lecture de ces descriptifs pour les adapter, un peu vite, et en abuser dans le langage populaire, loin de leur définition médicale. Et aujourd’hui que l’actualité criminelle met le discours des experts sur la place publique, la compréhension n’est pas toujours au rendez-vous… Ainsi un peu de méfiance et on devient vite "parano". Ce qui n’est pas une « bonne » appellation, car la paranoïa est une méfiance maladive. En souriant si ce n’était une maladie redoutable, on pourrait définir le paranoïaque comme celui qui, lorsqu’il regarde les joueurs de rugby se mettre en mêlée, va immédiatement penser : "Tiens, ils vont encore parler de moi". Donc si votre mari veut savoir où vous avez déjeuné à midi, il n’est pas "parano"… juste méfiant ou jaloux.
Autre exemple, le maniaque… Dans le langage populaire, c’est quelqu’un qui range trop bien son bureau ou qui bichonne sa voiture le week-end. Maniaque ? Non, juste méticuleux. Le maniaque est en psychiatrie une forme grave de dépressif, donc rien à voir…
Prenez le schizo, ce n’est pas l’invité un peu distant d’un repas entre amis, mais un individu isolé, indifférent aux éloges ou aux critiques qui, précisément, vit sans amis, dans un isolement social quasi total. Autre mot à la mode : le compulsif ! C’est un excité du travail ou de ses passions ? C’est en psychiatrie plus complexe que cela. Le compulsif est un perfectionniste dont, par exemple, les difficultés à terminer un travail sont quasi insurmontables. Pas le simple ennemi des coléoptères mais l’indécis notable, celui qui a une folie du doute, une exigence morale élevée et une rigidité excessive à propos des questions éthiques. Il y a sans doute quelques adolescents qui sauront maintenant redéfinir leurs pères…
En fait, comme toutes les disciplines médicales, des définitions extrêmement précises. Mais c’est un fait que les mots de psychiatrie sont très à la mode, et c’est dommage pour le seul plaisir d’un bon mot d’en détourner la précision… ou alors il faut le faire pour tous les domaines de la médecine. Et dire d’une personne qui rougit : "c’est un trop vascularisé", ou pour inviter un ami à dîner : "viens chez moi te faire masser les articulations temporo-maxillaires".
Docteur Jean-François Lemoine
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