Pour réduire le nombre de tués sur la route, les généralistes sont invités à être des acteurs de la prévention. L'extension du programme d'éthylotests anti-démarragepourrait leur en donner l'occasion.
« Lorsque je reçois un patient âgé en consultation, je pose toujours quelques questions sur la conduite automobile, explique un généraliste des Hauts-de-Seine. Il faut aborder le sujet avec tact, car il soulève des questions sur l'autonomie et l'indépendance de la personne. » Si penser à aborder les questions d'aptitude à la conduite avec les personnes âgées parait simple, il l'est moins avec les autres patients. « Faute de temps, de formation et d'informations, plus de la moitié des généralistes estime que c'est un sujet difficile à évoquer lors d'une consultation, constate le Dr Anne-Laurette Guillerm, médecin urgentiste, dans enquête réalisée dans le Val d'Oise en 2005 et 2008. Présentée lors du 3e congrès de l'Automobile club médical de France (ACMF), cette étude montre que « 67 % des médecins interrogés estimaient avoir des patients qui conduisent malgré des contre-indications. Mais la plupart des médecins ne souhaitent pas aborder frontalement les contre-indications par crainte qu'ensuite les patients ne leur disent pas la vérité sur leur état de santé afin de pouvoir encore conduire ». Seul un tiers des généralistes interrogés propose à ces patients d'aménager leur conduite, comme de ne plus conduire la nuit pour ceux qui ont des problèmes de vue.
Depuis la loi sur le droit des malades en 2002, les médecins ont le devoir d'informer leur patient. La France est un des pays européens, avec la Belgique et l'Allemagne, qui ne contrôle pas de façon systématique l'aptitude physique et mentale des conducteurs. Mais, il existe une longue liste d'affections médicales incompatibles avec l'obtention ou le maintien du permis de conduire. Elle a été réactualisée en 2005 (arrêté du 21 décembre 2005).
Des consultations de suivi
Depuis 2002, faire baisser le nombre de morts sur les routes est un enjeu gouvernemental. « Nous avons besoin des médecins de terrain pour renforcer la prévention, a déclaré Michèle Merli, Déléguée interministérielle à la Sécurité routière. Avec les campagnes de prévention, le renforcement des contrôles automatiques et la répression, le nombre de tués est passé sous la barre des 5000. Mais pour 2012, notre objectif est de passer sous la barre des 3000 morts. » 500 nouveaux radars seront mis en service à partir de 2009. « Pour atteindre cet objectif, la répression ne suffira pas, surenchérit le préfet Régis Guyot, qui a mené un groupe de travail sur « les gisements de sécurité routière » en 2002. Les médecins de terrain peuvent participer à la prévention ».
Comment faire pour que les généralistes puissent devenir des accélérateurs de prévention routière ? « Les étudiants en médecine ne sont pas formés aux problématiques de sécurité routière. Aujourd'hui encore, il n'y a pas d'information générale et systématique du corps médical sur ce sujet », regrette le Pr Alain Dômont, le rapporteur du groupe de travail sur les contre-indications médicales au maintien ou à l'obtention du permis de conduire. Pourtant, les choses bougent. Quelques formations se mettent en place sous la houlette du Pr Alain Dômont, mais aussi de l'ACMF. Un nouveau programme expérimenté par le Dr Charles Mercier-Guyon en Savoie pourrait offrir une opportunité aux généralistes d'aborder ces questions. Ce programme qui vise à lutter contre les récidives d'alcool au volant, offre la possibilité aux médecins de mener des consultations de suivi. Cette expérimentation utilise les éthylotests anti-démarrage. Mis en place dans le véhicule, l'éthylotest est couplé avec un dispositif de blocage de l'alimentation en carburant. Si le conducteur dépasse le taux d'alcool légal, sa voiture ne démarre pas. . « Il ne s'agit pas d'un gadget anti-démarrage, souligne le Dr Mercier-Guyon, mais d'un programme de contrôle et d'accompagnement. Les médecins dont les patients sont concernés, font des consultations de prévention. Tout l'intérêt du dispositif repose là-dessus ». En Savoie, ce dispositif a été proposé, depuis 2006, à 200 personnes prises en infraction. Plutôt qu'être sanctionnées pénalement, elles ont expérimenté ce dispositif pendant une durée de 6 mois. « Bonne nouvelle, aucune personne n'a récidivé, explique le Dr Mercier-Guyon. Alors que sur une population analogue qui n'a pas bénéficié de ce programme de contrôle et d'accompagnement, mais qui a été sanctionnée pénalement, nous en sommes à 8 récidives. » Dans les pays qui ont déjà mis en place ce système, la récidive tend à baisser de 75 % selon les experts. Le programme savoyard devrait être étendu en 2009. Le ministère de l'Intérieur, conjointement avec le ministère de la Justice, travaille à un projet de loi qui proposera cette option à l'ensemble de l'hexagone.
Le kit mains libres détourne l'attention
Téléphoner au volant est à l'origine de la mort de 270 personnes sur nos routes, soit 6 % du total. C'est la quatrième cause de mortalité après l'alcool, la vitesse et le non-port de la ceinture. Une estimation qui ne vise que l'usage du portable tenu en main et qui a incité les pouvoirs publics à réagir. Du 30 novembre au 21 décembre prochain, une campagne nationale alertera les automobilistes sur les dangers du téléphone au volant, une pratique répréhensible qui expose le contrevenant à 35 euros d'amende et au retrait de deux points. Mais la vraie question aujourd'hui est de savoir si le kit mains libres sera interdit, comme le préconisent des experts de la sécurité routière. En s'appuyant sur une première étude réalisée en Australie il y a trois ans, l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR) le demandait dès 2007. Dans leur rapport, les Australiens avaient signalé que le risque d'accident était multiplié par cinq quand l'appareil était tenu en main et par quatre quand le kit mains libres était utilisé. De son côté, l'ONISR avait précisé, dans sa propre étude, que le téléphone, quelle que soit la manière dont il était utilisé, était à l'origine de 8 % des accidents. Plus récemment, une étude américaine a enfoncé le clou sur les dangers du kit mains libres. Des chercheurs de l'université de Pittsburgh ont démontré que l'attention d'un automobiliste sur sa conduite chutait de plus d'un tiers au cours d'une conversation téléphonique «en mains libres ». Les 29 cobayes avaient tendance à faire dévier leur trajectoire vers le centre de la chaussée et certains étaient entrés en collision avec des rambardes, heureusement virtuelles.
Questions au Dr Charles Mercier-Guyon, généraliste, secrétaire du Conseil médical de la Prévention routière
"En parler avant les départs en vacances"
Les généralistes sont-ils suffisamment informés sur la sécurité routière ?
Dr Charles Mercier-Guyon. Non. L'expérience montre que les médecins connaissent mal les questions d'aptitude à la conduite. Un exemple, pour enlever la mention « lunettes » qui figure sur le permis de conduire, seule la commission médicale des permis de conduire de la Préfecture peut le faire. Or, beaucoup d'ophtalmologues opèrent les gens et leur donnent un certificat disant qu'ils n'ont plus besoin de lunettes. Médicalement, c'est vrai, mais juridiquement ce n'est pas valable. Autre exemple, la plupart des praticiens ne savent pas que le traitement de substitution, méthadone ou subutex, impose de faire passer le patient en commission médicale des permis de conduire. L'arrêté du 21 décembre 2005, qui fixe les limites médicales d'aptitude à la conduite, n'est pas suffisamment connu. C'est pour cela que nous avions réalisé avec l'association Prévention routière, un document intitulé « le Médecin et son patient conducteur » pour vulgariser les dispositions de cet arrêté et modifier les pratiques médicales.
En quoi la prévention routière peut-elle modifier les pratiques ? Dr C. M-G. Nous avons ouvert un débat en diabétologie. Le graal des diabétologues, c'est le taux d'hémoglobine glycosilé. Le taux de 6,5 est considéré comme le taux idéal. En effet, plus le taux d'hémoglobine glycosilé est bas, moins on a de risque de complications dégénératives. Mais plus on a de risques d'avoir une hypoglycémie, notamment au volant. De notre point de vue, le bon taux pour un conducteur qui fait beacoup de kilomètres, se situe plutôt aux alentours de 7, 5.
Quel est le moment propice pour aborder ces questions avec un patient ? Dr C. M-G. Les départs en vacances peuvent être l'occasion de provoquer la discussion. Je l'expérimente tous les ans dans mon cabinet. Vers fin juin, je demande à mes patients où ils vont en vacances. Et s'ils m'expliquent qu'ils vont traverser toute la France, ou aller à l'étranger en voiture, je leur fais des recommandations sur leurs traitements. C'est aussi l'occasion de revoir un traitement, notamment pour les patients qui prennent des benzodiazépines un peu à l'excès. Parfois, je propose des fenêtres thérapeutiques. Par exemple, pour certains hypolipémiants, je recommande à certains patients de faire deux mois de vacances de traitement.
Entretien avec M.G.
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