« Renforce vos défenses naturelles ». « Actif à l’intérieur, et ça se voit à l’extérieur ». Ces affirmations vous disent quelque chose ? C’est normal. Ce sont des slogans publicitaires pour produits laitiers contenant des probiotiques, ces « bonnes » bactéries censées apporter de multiples bienfaits pour la santé. Ou plutôt, des anciens slogans. Depuis 2010, les industriels doivent en effet prouver leurs effets sur la santé avant d’avancer de telles allégations. Et force est de constater qu’aujourd’hui, les preuves sont plutôt rares…ce qui ne signifie pas que les probiotiques sont inefficaces !
Découvertes au siècle dernier, ces microorganismes sont présents dans certaines boissons et compléments alimentaires, dans des céréales, mais surtout dans les produits laitiers, dans lesquels on retrouve deux espèces principales, Lactobacillus et Bifidobacterium. Chacune est constituée de nombreuses souches : L. casei, L. acidophilus, B.breve, etc. On leur prête une action bénéfique pour la santé, surtout pour les défenses immunitaires et le transit intestinal. L’OMS les définit d’ailleurs comme « des bactéries ou levures qui, ingérées en quantité suffisante, améliorent la santé de l’hôte en équilibrant la flore intestinale ». Une définition qui pourrait être revue et corrigée. Aujourd’hui, aucun consensus ne se dégage pour l’ensemble des probiotiques : certaines études démontrent un bénéfice pour les consommateurs lorsque d’autres concluent à une inefficacité, voire à des effets délétères. Pourquoi une telle incertitude ?
Une grande différence de sensibilité individuelle
Cette situation n’étonne pas Dusko Ehrlich, directeur de recherche en microbiologie et chaîne alimentaire à l’INRA : « C’est comme si on faisait essayer à tout le monde la même paire de chaussures ! Les probiotiques ont une action personnalisée, ils fonctionnent chez certains, et pas chez les autres. Tout l’intérêt est d’identifier chez qui ils fonctionnent et pourquoi » explique le scientifique. Nous avons tous, en effet, une flore intestinale différente, qui répond donc différemment à ce que l’on ingère. En outre, même au sein d’une même espèce, chaque souche peut avoir des effets très différents sur une même personne. Un travail de fourmi attend donc les scientifiques, ce qui n’empêche pas Dusko Ehrlich d’imaginer que les probiotiques pourront un jour soigner notre flore intestinale afin de prévenir certaines maladies.
Un lien entre probiotiques et obésité
Cet optimisme n’est pas partagé par Didier Raoult. Ce directeur du laboratoire de bactério-virologie de l’hôpital de la Timone (Marseille) a récemment publié plusieurs études mettant en évidence un lien entre probiotiques et obésité. La dernière d’entre elles, publiée en 2012, prouve que des souris inoculées avec la bactérie probiotique L. ingluvei subissent notamment une prise de poids significative. « En modifiant les bactéries intestinales, les probiotiques ont eu exactement le même effet que les antiobiotiques avec lesquels on nourrit les animaux d’élevage » explique Didier Raoult, qui souligne que ces relations doivent encore être étudiées. « Il faut rester prudent quand on touche à la flore intestinale. Certaines personnes sont porteuses d’un petit nombre de bactéries pathogènes, sans aucun effet néfaste pour leur santé. Qu’adviendra-t-il si des probiotiques favorisent leur colonisation ? »
La piste des métabolites
Un nouvelle méthodologie d’étude des probiotiques pourrait modifier notre compréhension de leur fonctionnement. Au CHRU de Tours, le pédiatre allergologue Cyrille Hoarau s’est en effet intéressé non pas aux bactéries en elles-mêmes, mais à leurs métabolites, ces molécules qu’elles sécrètent lors de la fermentation. Ses travaux menés sur B. breve c50 ont démontré que la réponse immunitaire anti-inflammatoire qu’elle déclenche n’est pas due à la simple présence de la bactérie, mais à celle de ses métabolites. Outre une possible application des probiotiques en tant qu’agents anti-allergènes (la bactérie « pacifiant » le système immunitaire des allergiques alimentaires), ces résultats sous-entendent que s’il existe tant de résultats contradictoires, c’est sans doute parce que certains processus biochimiques tels que la fermentation ne sont pas pris en compte dans les études cliniques. « Lorsqu’un chercheur conclut à une absence d’effet, c’est peut-être parce que les conditions physico-chimiques nécessaires à la fermentation n’ont pas été réunies », suggère Cyrille Hoarau. D’après lui, cette lacune expliquerait donc pourquoi les industriels peinent à prouver les bienfaits de leurs produits.
« Il y a un réel intérêt à étudier ces bactéries, assure Cyrille Hoarau. Le problème, c’est que certaines marques en font des utilisations complètement farfelues, comme dans des cosmétiques, alors qu’aucune étude n’a été faite au préalable. Ça peut faire beaucoup de mal à tout le secteur », pressent le microbiologiste. Les charlatans s’empareront-ils des probiotiques ? Ce serait un coup dur pour cette industrie. Mais rassurez-vous : pour l’instant, elle se porte bien : en 2010, le marché mondial s’élevait même à près de 20 milliards d’euros, selon l’agence Global Industry Analysts.