La transidentité est un sujet délicat, car les personnes qui le vivent ont un rapport à leur identité de genre qui n’est pas forcément en adéquation avec le sexe que la nature leur a donné à la naissance. Une étude scientifique, la première du genre, publiée dans la revue Scientific Reports, pense avoir identifié des preuves biologiques de l’inadéquation vécue par les personnes transgenres entre l’identité de genre perçue par leur cerveau et celle développée par leur corps. Pour mieux comprendre cette différence, des chercheurs de l’université d’Augusta (Etats-Uis), ont étudié le génome de trente personnes transgenres, en s’intéressant notamment aux voies des récepteurs d'œstrogènes dans le cerveau.
Une question d’hormones
L’équipe du docteur John Graham Theisen, auteur de l'étude, gynécologue-obstétricien et chercheur en santé reproductive des femmes au National Institutes of Health de l’université d’Augusta (Etats-Unis), a identifié 21 variantes dans 19 gènes des voies de signalisation des œstrogènes du cerveau, essentielles pour établir si le cerveau est masculin ou féminin. Ces gènes sont impliqués dans l’envoi massif d’hormones au cerveau, notamment d’œstrogènes, juste avant ou après la naissance, qui participent à la “masculinisation” ou à la “féminisation” du cerveau.
Dans les variantes identifiées par les chercheurs, chez les hommes nés de sexe masculin, ces expositions massives œstrogènes ne se produisent pas, ou la voie de signalisation est modifiée, ce qui ne “masculinise” pas le cerveau. De même, chez les femmes, l'exposition aux œstrogènes a lieu alors que cela ne devrait pas être le cas, ce qui conduit à la masculinisation.
Ces deux phénomènes entraîneraient ce que l’on appelle une dysphorie de genre, soit un sentiment d’inadéquation entre le sexe interne et externe d'un individu. Dit autrement, la dysphorie de genre caractérise le sentiment d’inconfort que peuvent avoir certaines personnes qui se sentent “coincées” dans un genre dans lequel elles ne s’identifient pas.
Pour John Graham Thiesen, l'identité sexuelle à laquelle le cerveau se rapporte est immuable, et les traitements, tels que l'hormonothérapie ou la chirurgie, visent à aider le corps à correspondre à l'idéal que s’en fait le cerveau.
Pour le docteur Lawrence Layman, chef de la section endocrinologie reproductive, infertilité et génétique au collège de médecine de Georgie, le timing reste essentiel. “Peu importe les organes sexuels que vous avez, l’important, c'est de savoir si les œstrogènes et les androgènes, qui sont convertis en œstrogènes dans le cerveau, masculinisent le cerveau pendant cette période critique. Nous avons trouvé des variantes de gènes qui sont importantes dans certaines de ces différentes zones du cerveau.”
Selon les chercheurs, même si la période critique pour la masculinisation du cerveau peut sembler tardive, le développement de ce dernier se poursuit longtemps après la naissance. Les voies et les récepteurs doivent être établis lorsque les œstrogènes arrivent.
Timing des hormones
Les chercheurs ont examiné l'ADN de 30 volontaires majeurs, qui s’identifient eux-mêmes comme transgenres, et dont la dysphorie de genre a été diagnostiquée en se basant sur les critères prévus par le DSM-V. Parmi eux, 13 hommes transgenres nés de sexe féminin et en transition vers le sexe masculin, ainsi que 17 femmes transgenres nées de sexe masculin et en transition vers le sexe féminin.
L'analyse de leur génome complet, qui consiste à séquencer les régions codant les protéines d'un gène, a été réalisée au Centre d'analyse du génome de Yale. Cette analyse a ensuite été confirmée par le séquençage Sanger, une méthode utilisée pour détecter les variantes de gènes. Les variantes trouvées n'étaient pas présentes dans un groupe de 88 études d'exomes de contrôle sur des individus non-transgenre qui ont également été examinés à Yale. De plus, ces variantes, étaient soit absentes, soit très rares dans les grandes bases de données d'ADN de contrôle.
Pour ces chercheurs, l’un des facteurs pouvant expliquer la dysphorie de genre pourrait venir de l’estradiol, un œstrogène primaire que nous produisons tous très brièvement lors de la phase périnatale (entre la 22e semaine d’absence de règles de la mère et la première semaine de naissance du nourrisson). Durant cette phase, la brève libération d’estradiol entraînerait deux possibilités : soit les voies de signalisation seraient activées par les récepteurs d’œstrogènes, ce qui aboutirait à un “cerveau masculin”, soit — parce que les ovaires sont au repos chez la femme enceinte — l’absence de stimulation des récepteurs d’œstrogènes, donneraient naissance à un “cerveau féminin”.
Une base biologique pour la dysphorie de genre
Pour Lawrence Layman, qui a 20 ans d’expérience dans la prise en charge de patients transgenres, il existe une base biologique à la dysphorie de genre dans la majorité des cas. Son collègue, John Graham Thiesen, abonde dans son sens. “Nous pensons certainement que pour la majorité des personnes qui souffrent de dysphorie de genre, il y a une composante biologique. Nous voulons comprendre quelle est la composante génétique de l'identité de genre.”
Selon les chercheurs, bien que la génétique a été identifiée comme un facteur de la dysphorie de genre, cela n’a pas encore été prouvé jusqu'à présent. La plupart des gènes ou variantes de gènes étudiés précédemment étaient associés à des récepteurs d'androgènes, qui sont les hormones traditionnellement liées aux traits masculins, mais qui sont également présentes chez les femmes, comme les œstrogènes pour les hommes.
Par conséquent, les chercheurs se sont concentrés sur l'aspect peu connu du développement cérébral spécifique au sexe, qui est un bain d'œstrogènes nécessaire au début de la vie pour la masculinisation du cerveau, afin d'identifier les sites potentiels de variances génétiques pertinentes. Au départ, les tests ADN ont révélé plus de 120 000 variantes, dont 21 étaient associées à des voies cérébrales associées aux œstrogènes.
Les études sur les animaux ont fixé le cap
Pour leur recherche, l’équipe de scientifiques s’est en partie appuyée sur une étude de 2008 sur des rats, qui avait permis d'identifier quatre zones du cerveau dont les voies sont associées au développement d'un cerveau masculin ou féminin. En se basant sur ces résultats, les chercheurs sont partis du principe que cela pourrait être pareil chez l’être humain. Une autre étude, menée cette fois-ci sur des primates en pleine puberté, a également montré que la perturbation de ces voies conduit à un comportement sexuel croisé. Selon Lawrence Layman, de nombreuses personnes font état de sentiments d’inadéquation liés au sexe dès l'âge de cinq ans.
Pour autant, si le développement cérébral spécifique au sexe n'a pas été étudié de manière approfondie chez l'homme, les effets restent néanmoins plus prononcés pendant la puberté. L'augmentation de la conscience sexuelle à ce stade rend la dysphorie de genre plus facile à exprimer chez les adolescents. De même, de précédentes études ont démontré que l’exposition aux hormones sexuelles pendant la période périnatale pouvait affecter le comportement sexuel futur. La prépondérance des données a été obtenue grâce à des recherches portant sur des femmes souffrant d'une hyperplasie congénitale classique des surrénales depuis la naissance. Cette maladie génétique rare entraînant une production anormale d’hormones (notamment d’androgène) avant la naissance, produit une virilisation génitale externe plus ou moins importante. Chez ces femmes, le taux de dysphorie de genre atteint 3%, contre 0,2% chez les femmes non atteintes. En revanche, les données disponibles chez les hommes sont insuffisantes pour définir une tendance, ce que déplorent les scientifiques.
Pour John Graham Theisen, les variantes génétiques sont responsables de nos traits individuels, comme la couleur des yeux, et que de même, le sexe est aussi unique et varié que les autres traits, dont la plupart ne provoquent pas de maladies. Pour cette raison, les chercheurs suggèrent de modifier le système actuel de classification des variantes (comme celle du DSM) qui ne suggèrent pas qu'elles causent des maladies.
Une stigmatisation accrue
Aux Etats-Unis, les scientifiques considèrent qu’environ 0,5 à 1,4 % des personnes nées de sexe masculin et 0,2 à 0,3 % des personnes nées de sexe féminin souffrent de dysphorie de genre. Les “vrais” jumeaux (identiques) étant plus sujets à cette affection que les “faux” jumeaux (fraternels).
La vie des personnes transgenres est souvent marquée par des discriminations et des violences sexuelles, qui peuvent conduire à la dépression, la toxicomanie et aux tentatives de suicide. Dans une étude nationale américaine datée de 2010 sur les discriminations que subissent les personnes transgenres, 26 % d'entre eux admettent consommer de l'alcool ou des drogues pour faire face à la situation, et 19 % se sont vu refuser des soins médicaux. Dans ce même rapport, 28% signalent des cas de harcèlement verbal dans un environnement médical, ou des compagnies d'assurances qui ne couvrent pas le coût de l'hormonothérapie ou de la thérapie chirurgicale d'affirmation du genre. Enfin, 41% des sondés affirment avoir fait une tentative de suicide, contre 1,6% pour la population générale. Pour les enquêteurs, ces discriminations sont dues à un manque de compréhension du fondement biologique de la dysphorie de genre.
L’étude sur l’inadéquation corps-cerveau a été menée sur 30 personnes, et les chercheurs assurent disposer de données sur 30 autres personnes. Bien que l'étude, en partie financée par l'Institut national Eunice Kennedy Shriver de la santé de l'enfant et du développement humain, semble être la plus importante à ce jour, les résultats de cette étude ont été classés comme préliminaires.