C’est un vent de panique qui souffle sur les quelque 350 patients dans le monde, dont 250 en France, qui sont atteints d’une forme très particulière de diabète de type 1. “Une maladie rare dans une maladie fréquente”, résume le professeur Éric Renard, chef du service endocrinologie-diabétologie-nutrition au CHU de Montpellier, qui s’occupe d’une centaine de ces patients incapables de suivre le traitement classique du diabète par l’injection d’insuline sous-cutanée. “J’ai comme une barrière qui fait que la diffusion de l’insuline par la peau pour contrôler mon diabète est impossible”, commente Sabine Guérin, atteinte par ce type particulier de diabète.
Ces patients doivent leur survie à une petite pompe à insuline implantée dans la paroi abdominale. À la fin des années 80, une entreprise américaine, MiniMed, a mis au point une pompe interne qui permet de diffuser directement l’insuline dans le corps des patients. “Cette pompe permet d’injecter de l’insuline en court-circuitant le sous-cutané par le péritoine”, précise Éric Renard, dont le service est pionnier dans l’utilisation de cette technique.
Avec cette pompe, plus de problèmes d’injection, les patients concernés peuvent désormais vivre sans risque. “Ça a changé ma vie et j’ai eu un enfant grâce à la pompe”, décrit Sabine Guérin qui est implantée depuis 27 ans et a fondé le Collectif des implantés. “J’ai pu avoir une vie normale, voyager, avoir des enfants, faire du sport, tout ça grâce à la pompe”, abonde Anne Durieux, implantée depuis 17 ans. La pompe fonctionne grâce à des piles dont la durée de vie est estimée entre 6 et 8 ans.
“On nous condamne”
Pourtant, en 2017, tout bascule. La société américaine Medtronic, leader mondial des technologies médicales et unique fabricant de la pompe depuis le rachat de MiniMed en 2001, annonce qu’elle arrête sa fabrication au 1er juin 2019 avant de s’engager sur la production de 50 nouvelles pompes d’ici au 30 juin 2020. “Nous éprouvons des difficultés sur des composants qui ne permettent pas la poursuite de la production”, assure Valérie Courcier, directrice de la communication chez Medtronic. Deux sociétés, Ipadic et Physiologie Devices, se sont positionnées pour reprendre le flambeau et la fabrication de ces pompes. Problème, aucune de ces deux sociétés n’est capable d’en assurer la production avant, au mieux, 2023. Un vide de trois ans qui pourrait être fatal pour les patients qui dépendent de ces implants pour rester en vie.
Actuellement, il n’existe aucune alternative viable pour eux. “Les 3/4 des patients qui possèdent actuellement une pompe vont être en grand danger”, ajoute Éric Renard. Sans la pompe, ces patients retrouveraient une glycémie variable puisque la méthode classique d’injection d’insuline sous-cutanée n’est pas efficace. Autre option, l’hospitalisation régulière pour une diffusion de l’insuline par intra-veineuse. “Si ma pompe n’est pas remplacée, je devrais passer mon temps à l’hôpital pour pouvoir rester en vie. C’est ingérable”, déplore Sabine Guérin.
Pour les patients, l’arrêt de la fabrication de ce dispositif est un choc. “On nous condamne, lance Sabine Guérin. Pour nous, les implantés, c’est une course contre la montre, contre la mort.” Une indignation partagée par le professeur Éric Renard pour qui “Medtronic condamne des patients à une situation dramatique. Cette pompe ne leur permet pas simplement d’améliorer leur qualité de vie, mais bien de contrôler leur diabète et de les maintenir en vie.”
Une réunion au ministère de la Santé peu concluante
Pour tenter d'obliger Medtronic à infléchir sa position, les patients se sont mobilisés. Le Collectif des implantés a lancé une pétition l’été dernier qui a recueilli à ce jour plus de 10 000 signataires. Les patients ont également alerté des élus pour leur faire part de leur désarroi, comme Éric Andrieu, député européen pour la circonscription du Grand Sud-Ouest (Parti socialiste). “L’avenir incertain de ces patients m’a touché, développe-t-il. J’ai saisi la Commission européenne pour savoir ce qu’elle compte mettre en œuvre pour empêcher l’arrêt de la production des pompes à insulines. J’attends une réponse très concrète.” Au niveau national, c’est la sénatrice Corinne Imbert (Les Républicains) qui a été saisie. “J’ai envoyé une question orale à Agnès Buzyn, alors ministre de la Santé. J’ai eu une réponse de sa part m’expliquant l’engagement du gouvernement à défendre ces patients.”
Le 7 février dernier, la Direction générale de la Santé (DGS), qui dépend du ministère de la Santé, a organisé une réunion pour tenter de trouver une solution. Autour de la table se trouvaient notamment des représentants de Medtronic, des membres du Collectif des implantés, de la Fédération française des diabétiques (FFD), le professeur Éric Renard, des responsables de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et de la Haute Autorité de santé (HAS).
Des risques vitaux
Durant cette réunion, de nombreux participants ont fustigé l’attitude de Medtronic qui refuse de produire des pompes à insuline passé le 30 juin prochain. Une décision incompréhensible pour les membres du Collectif des implantés, qui ont exposé les risques vitaux engendrés par cette décision qu’ils estiment motivée par le seul intérêt économique.
Le problème, est qu’il est impossible d’obliger Medtronic, puisque l’entreprise n’est ni française ni européenne. Seule possibilité, lui infliger des pénalités financières en cas de non-respect des engagements. C’est ce qu’a fait le gouvernement, rappelant que la société américaine s’est engagée le 12 septembre dernier, au cours d’une réunion au siège de l’ANSM, à garantir la pompe pendant 6 ans, alors que celle-ci a maintenu que la durée de garantie n’est que de 2 ans le 7 février à la DGS.
Deux sociétés sur les rangs pour reprendre la production
Alertée courant 2019 par le Collectif des implantés pour défendre leur cause auprès de Medtronic, la Fédération française des diabétiques (FFD) n’a pas eu la réaction attendue. “Ils n’ont jamais bougé alors que nous leur avons demandé de nous aider” fustige Sabine Guérin, qui souligne le lien qu’entretient l’association avec Medtronic qui est l’un des annonceurs les plus importants de sa revue Équilibre, qui paraît tous les deux mois. La FFD a également étonné en publiant, la veille de la réunion du 7 février, un communiqué où elle assure que les patients peuvent “envisager l’avenir plus sereinement et avec bon espoir”. Pendant la réunion avec les autorités de santé, l’attitude passive de la Fédération a aussi surpris. Gérard Raymond, qui a présidé la Fédération pendant plus de 10 ans avant de laisser sa place il y a six mois et qui est lui-même porteur d’une pompe à insuline, conteste ces accusations. “La Fédération est parfaitement indépendante. Ce n’est pas parce que Medtronic achète des pages dans notre magazine qu’il porte un regard sur nos actions”, se défend-il. Selon lui, il serait préférable de se tourner vers les deux entreprises qui se sont positionnées pour reprendre la production pour trouver les responsables de la situation ubuesque dans laquelle se trouvent les patients. Celles-ci devraient, selon lui, se montrer plus aidantes dans les négociations.
Deux sociétés sont dans la course pour reprendre la suite de Medtronic. La première est PhysioLogic Devices, une entreprise américaine implantée en Californie. Elle semble être la plus à même de pouvoir prendre le relais de Medtronic puisqu’elle a dans ses rangs les anciens ingénieurs de MiniMed qui ont mis au point le premier modèle de pompe à insuline. La société travaille déjà depuis quelques années sur un nouveau modèle de pompe. Problème, confectionner ce dispositif est complexe, et pour gagner du temps de production, ils ont besoin que Medtronic les mette en relation avec Maxon, un sous-traitant suisse employé pour fabriquer un piston essentiel au fonctionnement de la pompe. “Medtronic est hésitant pour nous mettre en relation avec Maxon car la nouvelle pompe sur laquelle nous travaillons pourrait servir à traiter d’autres maladies pour lesquelles Medtronic vend son savoir-faire", détaille Greg Peterson, PDG de PhysioLogic Devices et lui-même porteur de la pompe à insuline. Cette nouvelle pompe, plus petite, pourrait par exemple soulager les patients atteints de douleur chronique en diffusant directement et facilement des antidouleurs. Sans cette mise en relation, l’entreprise perdrait entre 12 et 18 mois de production et ne pourrait pas fabriquer concrètement la nouvelle pompe avant au moins 2024.
L'horloge tourne
La seconde entreprise, la start-up hollandaise Ipadic, semble être privilégiée par Medtronic. Cette dernière a déjà mis la jeune entreprise en lien avec Maxon. Cependant, cette start-up n’a pas encore les ressources financières nécessaires à la fabrication de la pompe et ne possède pas le savoir-faire puisqu’elle n’a jamais produit un tel dispositif. Pourtant, si le calendrier d’Ipadic est moins clair que celui de PhysioLogic Devices, il faudrait plus de temps à cette société pour fabriquer la pompe.
Pendant ce temps, les patients restent sans solution et l’horloge tourne. “Le 30 juin, pour nous, c’est demain”, se désole Sabine Guérin. Le professeur Éric Renard estime à 70 le nombre de patients qui verront leur pompe s’arrêter de fonctionner cette année. De son côté, Medtronic refuse toujours de poursuivre la fabrication des pompes au-delà de la date fatidique. “Pourtant, la société a assuré qu’elle continuerait à produire les consommables nécessaires au fonctionnement de la pompe pendant encore deux ans. Cela veut dire garder une chaîne de production active. Ils pourraient très bien continuer en attendant qu’un autre acteur soit prêt à produire d’autres pompes”, déplore Éric Renard.
En attendant de trouver une solution, les négociations se poursuivent entre Medtronic et ces deux entreprises. Greg Peterson de chez PhysioLogic Devices demeure confiant malgré la complexité du dossier. “Nous discutons souvent avec Medtronic, et de notre côté, nous avançons chaque jour sur la réalisation d’une nouvelle pompe. Étant porteur de cette pompe, je souhaite que l’on trouve rapidement un terrain d’entente.” Et il n'est pas le seul.