“Je vais au front pour essayer de prêcher la bonne parole”. Quelques mois après avoir perdu son fils d’une overdose d’ecstasy en boîte de nuit, Martin Chassang, médecin urgentiste, a créé l’association OneLifeNoEcstasy pour alerter sur les dangers de cette drogue de plus en plus consommée en soirée par les jeunes français.
Le 31 août, Louis 21 ans, sort faire la fête avec ses amis. Les jeunes gens décident de faire appel à un dealer pour acheter un sachet de comprimés d’ecstasy qu’ils consomment entièrement. “Quelques minutes, plus tard, sur la piste de danse, Louis s’est effondré”, raconte son père au micro de Franceinfo mardi 26 février.
Le médecin découvre alors l’ampleur du fléau de cette drogue, de plus en plus banalisée chez les jeunes en France. “Nous avons fait une veillée ardente à la suite de l’accident. J’y ai rencontré des dizaines de jeunes, qui m’ont partagé leur peine, leur deuil aussi. Beaucoup m’ont dit avoir déjà consommé de l’ecstasy, ou était en proie à devenir des consommateurs. Je ne mesurais pas la place de ces drogues meurtrières. Nous sommes sortis du cadre dans lequel nous considérions que la drogue était réservée aux drogués”, racontait-il à La Montagne fin décembre, très inquiet de la facilité avec laquelle il est possible de se procurer ces cachets.
“Je ne l’ai pas vu venir”
“Louis et ses amis ont mis trois minutes pour en acheter (…) Pour dix euros, ils ont un cacheton qui rend euphorique, désinhibe, et le lendemain ils n’ont pas la gueule de bois”, commente Martin Chassang. Sur les comprimés, on trouve parfois des logos de figurines dessins animés. “Ca rappelle évidemment les Smarties, et pour les jeunes, il est difficile d’imaginer que ces ‘Smarties’ peuvent les tuer.”
En proie “aux regrets, à la culpabilité en tant que père et médecin”, le père en deuil veut aujourd’hui “protéger les autres Louis”. Il a donc décidé de créer l’association OneLifeNoEcstasy où il alerte contre les dangers de cette drogue. “On avait parlé de l’alcool, du cannabis, malheureusement l’ecstasy, je ne l’ai pas vu venir. Et si on arrive aujourd’hui à libérer la parole dans les familles, dans la société, on peut sauver des vies”, explique-t-il à Franceinfo.
“Nous avons reçus énormément de témoignages. Nous voulons informer les jeunes, qu’ils soient consommateurs ou pas, les parents, mais aussi tous les relais qui pourront accompagner les jeunes : scolaire, universitaire, les associations sportives”, déclare celui qui a distribué des “flyers bienveillants” #OnelifeNoEcstasy à la Techno Parade de Paris et vend des tee-shirts “OneLifeOnFutureTillOneExctasyDoUsPart” pour inciter les jeunes à la prudence malgré la fête.
Plus d’un million de comprimés saisis en 2018
Si l’association n’en est encore qu’à ses débuts et n’a pas encore “le recul ni la distance pour savoir comment va se construire ce combat”, Martin Chassang espère à terme réussir à atteindre les pouvoirs publics. “Il faut que ce fléau soit pris en compte. Tant dans la prévention des risques que la répression pour les dealers et leurs complices.”
L’ecstasy et son principe actif premier, la MDMA, est aujourd’hui un véritable enjeu de santé publique en France. Selon l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies, à l’heure actuelle, 7% des 18-25 ans ont expérimenté au moins une fois l’ecstasy (en forme de poudre ou comprimé), contre 4,8% la cocaïne, et 45% le cannabis. Avec ses “couleurs vives et ses formes 3D imitant des logos de marques célèbres, ce produit a ainsi pu toucher de nouveaux publics en apparaissant comme une nouvelle drogue auprès des jeunes”, explique l’OFDT.
Des faits d’autant plus inquiétants que, “que ce soit sous forme cristal/poudre ou sous forme comprimé (ecstasy), les teneurs en MDMA ont considérablement augmenté (…) Les ecstasys présentent également des teneurs en constante augmentation pour atteindre des niveaux très supérieurs à ce qui pouvait être observé dans les années 2000”, est-il écrit sur le site de l’OFDT, selon qui plus d’un million de comprimés ont été saisis en 2018.
Eviter les mélanges avec l’alcool et d’autres drogues
“On a constaté, dans plusieurs de nos affaires, des organisations criminelles qui se professionnalisent dans l’importation de ces cachets, avec des modes opératoires très perfectionnés, comme l’utilisation de voitures avec des caches aménagées”, explique aujourd’hui la commissaire Jessica Finet, chargée de la brigade des stupéfiants à Paris, à Franceinfo, précisant que l’importation se fait surtout depuis les Pays Bas.
“On aimerait lutter contre l’image festive de ces drogues de synthèse, mais effectivement, il y a aujourd’hui de la part des trafiquants tout un marketing qui est mis en place… Finalement, les trafiquants sont quand même des commerçants avant tout, mais il convient de rappeler que ces drogues sont létales même lorsqu’elles sont faiblement dosées”, poursuit-elle.
Si certains consommateurs réagissent relativement bien à la prise de MDMA, cela dépend du métabolisme de chacun. “Il n’y a pas de consommation sans danger. Il peut y avoir un phénomène d’arnaque qui est bien connu dans le monde des drogues, mais aussi la possibilité d’acheter un produit très fort, beaucoup plus fort que ce que l’on recherche, et les usagers novices sont les plus exposés à ces risques parce qu’ils ne connaissent pas les réactions de leur corps face à un tel produit”, explique Victor Detrez, pharmacien à l'OFDT, à Franceinfo.
Pour limiter les risques et les mauvaises surprises, il est donc recommandé aux consommateurs de fractionner les comprimés largement dosés et d’éviter les mélanges avec l’alcool ou d’autres drogues.
Dans l’attente d’une campagne de prévention nationale
Outre les professionnels de santé, les proches des victimes et la police, les établissements de nuit sont particulièrement concernés par l’explosion des ventes et consommations d’ecstasy en soirée et attendent une vraie politique de prévention de la part des pouvoirs publics.
“Une campagne de prévention nationale dans le cadre de la réduction des risques aurait un vrai intérêt pour nous. On sollicite l’Etat pour être accompagné sur ces problématiques”, explique Aurélien Dubois, président de la chambre syndicale des lieux musicaux, festifs et nocturnes à Franceinfo.
Au lendemain de la mort de Louis Chassang, le Collectif Action Nuit (CAN), un think tank composé d'experts et de “professionnels de la nuit” avait alerté dans un communiqué sur la “recrudescence de consommation de produits stupéfiants particulièrement dangereux” et notamment d'ecstasys “largement surdosés” qui circulent aujourd'hui en France, revendiquant “une considération de l'État à la mesure de l'enjeu”.
“Des actions qui doivent être soutenues par les services de l’Etat”
“Communément appelés ‘ecstasys’, des produits largement surdosés circulent ces dernières semaines en France, laissant présager une arrivée de produits asiatiques transformés et également surdosés appelés vulgairement ‘ecstasy chinois’”, mettait en garde le collectif.
“Ce que nous dit ce drame, c’est que la prévention et la réduction des risques doivent être renforcées partout (…) La veille sanitaire doit être renforcée sur les produits en circulation et des campagnes de communication doivent permettre aux consommateurs d’en être informés afin d’être vigilants face aux risques auxquels ils s’exposent. Voilà des actions qui doivent être soutenues par les services de l’Etat. Malheureusement, les associations qui interviennent dans ce champ sont toujours sous-financées”, déclarait les signataires de la tribune, déplorant la fermeture du club où le jeune Louis est mort.
“Avec cette sanction, le seul message que la préfecture de police martèle c’est qu’un lieu est responsable de tout produit stupéfiant qui pénètre son enceinte. C’est totalement hypocrite : aucune palpation n’empêchera quelqu’un de cacher cinq cachets au fond d’une chaussette. C’est matériellement impossible. C’est un fait mondial et massif, l’ecstasy n’a jamais été si largement disponible. Il n’est pas du ressort des professionnels de remettre en cause cet état de fait (qui sont-ils quand toutes les polices du monde sont impuissantes ?) mais d’en limiter les conséquences dans leurs lieux”, dénonçaient-ils, avant d’appeler à repenser “d’urgence le cadre législatif qui entoure ces activités.”