Depuis quelques années, l’antibio-résistance est devenue une priorité de santé mondiale. En 2015, dans l’Union européenne, 33 000 personnes seraient décédées faute d’avoir reçu un traitement antibiotique efficace contre des bactéries ayant développé des résistances. Face à cette menace grandissante, les chercheurs du monde entier travaillent donc d’arrache pied à mettre au point de nouveaux médicaments. Aujourd’hui, des chercheurs canadiens ont identifié, à l’aide de plantes de cannabis, un composé antibactérien au potentiel prometteur. Les résultats de leur étude sont parus dans la revue American Chemical Society Infectious Diseases.
Des chercheurs de l'université McMaster (Canada) ont découvert en laboratoire que le composé chimique, ou cannabinoïde, appelé cannabigérol (CBG) avait une activité antibactérienne contre le Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline (SARM). En effet, il empêche la bactérie de former des biofilms, communautés de micro-organismes qui s’attachent les uns aux autres et aux surfaces. Il détruit les biofilms préformés ainsi que les cellules résistantes aux antibiotiques, explique l’université dans un communiqué paru le 28 février.
Les chercheurs ont ensuite confirmé ces résultats en administrant du CBG à des souris atteintes d’une infection au SARM. “Dans cette étude, nous avons examiné 18 cannabinoïdes disponibles dans le commerce et ils ont tous montré une activité antibiotique, certains beaucoup plus que d'autres. Celui sur lequel nous nous sommes concentrés était un cannabinoïde non psychoactif appelé CBG, car il avait l'activité la plus prometteuse. Nous avons synthétisé ce cannabinoïde en quantité massive, ce qui nous a donné suffisamment de composé pour approfondir la recherche”, explique Eric Brown, professeur de biochimie et de sciences biomédicales à McMaster.
“Essayer d’améliorer le composé”
“La CBG s'est révélée merveilleuse pour s'attaquer aux bactéries pathogènes. Les résultats suggèrent un réel potentiel thérapeutique pour les cannabinoïdes en tant qu'antibiotiques”, poursuit-il. Toutefois, la toxicité du CBG sur les cellules hôtes est à ne pas oublier, nuancent les chercheurs. Ainsi, si les résultats de cette étude sont intéressants, ils ne sont pas prêts d’aboutir à un produit final.
“Cela ouvre une fenêtre thérapeutique, mais une fenêtre étroite, pour développer ceci en un médicament. Les prochaines étapes consistent à essayer d'améliorer le composé en ce sens qu'il est plus spécifique aux bactéries et qu'il a moins de chances d'être toxique”, explique donc Eric Brown.
Cela fait deux ans, depuis la légalisation de la marijuana au Canada, que le laboratoire Brown étudie le potentiel antibiotique du cannabis. “Cette recherche est devenue une priorité pour nous. Il y a eu une certaine stigmatisation de l'investissement dans ce genre de recherche, mais il y a de plus en plus de preuves anecdotiques de l'utilisation médicinale du cannabis. La stigmatisation semble s'estomper”, analyse Brown. Il précise que cette étude dépend de son collaborateur Jakob Magolan, professeur associé de biochimie et de sciences biomédicales à McMaster, spécialisé dans le développement de médicaments à l'aide de la chimie organique de synthèse.
La France expérimentera bientôt le cannabis thérapeutique
“Les laboratoires de Jake et moi sommes à quelques pas l'un de l'autre et nos équipes se parlent tout le temps. Ce n'est qu'un des nombreux projets passionnants auxquels nous participons et qui associent des scientifiques aux compétences très différentes mais complémentaires”, conclut le chercheur.
En France, un pas va bientôt être franchi dans la légalisation du cannabis, mais pas récréatif. A partir d’octobre, le cannabis thérapeutique devrait commencer à être prescrit pour une durée d’expérimentation de 2 ans incluant 3 000 patients atteints de pathologies graves.
“Nous avons retenu un certain nombre d’indications : douleurs neuropathiques réfractaires aux thérapies médicamenteuse ou non, certaines formes d’épilepsie sévère et pharmaco-résistantes, en soin de support, dans les situations palliatives, en oncologie, dans le cas de douleurs liées à la sclérose en plaques ou pour d’autres pathologies du système nerveux central”, expliquait Christelle Ratignier-Carbonneil, directrice générale adjointe de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) fin janvier.