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Décision de justice

IVG : le droit à l'avortement menacé aux Etats-Unis

Par Raphaëlle de Tappie

Aux Etats-Unis, la Cour suprême examine ce mercredi 4 mars une loi de Louisiane qui pourrait entraîner la fermeture de deux des trois cliniques pratiquant des avortements dans cet Etat conservateur. 

Moussa81/iStock

Les Etats-Unis s’apprêteraient-ils à faire marche arrière dans le droit des femmes à disposer de leur corps ? Cinquante ans après avoir légalisé les interruptions volontaires de grossesse dans tous le pays, la Cour suprême examine ce mercredi 4 mars une loi de Louisiane qui pourrait conduire à la fermeture de deux des trois cliniques pratiquant des avortements dans cet Etat. L’arrêt sera rendu en juin, à quelques mois de la présidentielle, et donc forcément source de débat entre les candidats.  

L’audience portera sur une loi adoptée en 2014 par la Louisiane pour obliger les médecins pratiquant des avortements à obtenir une autorisation d’exercer dans un hôpital situé à moins de 50 kilomètres du lieu de l’intervention. L’enjeu n’est pas que local, cette loi étant plus ou moins identique à une législation texane invalidée par la Cour en 2016. Cette année là, elle avait jugé illégale une loi de 2013 votée au Texas imposant aux cliniques qui pratiquaient des avortements de posséder un plateau chirurgical similaire à celui d’un milieu hospitalier.

uepuis, les choses ont changé. Le président républicain Donald Trump, farouchement anti-avortement, a remanié la Cour en y nommant deux magistrats réputés pour leur conservatisme, explique à l’AFP Mary Ziegler, professeure de droit à l’Université de Floride. La Cour a donc basculé du côté des anti-avortement avec cinq juges conservateurs contre quatre démocrates.

“Des attaques sans précédent contre le droit des femmes”

Aux Etats-Unis, le droit des femmes à l’avortement a été décidé en 1973 par l’arrêt historique Roe V. Wade. Dans les années 70, une Texane de 21 ans, Norma McCorvey, dite Jane Roe, est enceinte pour la troisième fois. Elle veut avorter mais à l’IVG est interdite au Texas, comme dans 45 autres Etats américains. Toutefois, pour son avocate, l’interdiction d’interrompre une grossesse non désirée est anticonstitutionnelle. Après trois ans de bataille juridique, la Cour suprême lui donne raison et statue, le 22 janvier 1973, par sept voix contre deux, que le 14e amendement protège le droit des femmes à disposer de leur corps. L’avortement devient légal jusqu’à 22 semaines de grossesse.  

Aujourd’hui, la Louisiane invoque la nécessité en cas de complication suite à une IVG de pouvoir transférer les patientes dans les hôpitaux voisins. Selon elle, cette loi permettrait aussi d’évaluer la compétence des médecins. Pour Travis Tu, avocat du Center for Reproductive Rights, cette loi n’est qu’un prétexte pour fermer les cliniques : un seul centre de soins et un seul médecin pourraient continuer à pratiquer des avortements en Louisiane, Etat où 10 000 IVG ont en moyenne cours chaque année. “On assiste à des attaques sans précédent contre les droits des femmes (…) Il est essentiel que la Cour suprême intervienne et rappelle que les femmes ont un droit constitutionnel à choisir d’avorter”, s’inquiète-il auprès de l’AFP.

Saisie en urgence, la Cour suprême avait déjà empêché l’entrée en vigueur de la loi en février 2019, mais à seulement cinq voix sur neuf et sans se prononcer sur le fond du texte. Neil Gorsuch et Brett Kavanaugh, les deux jugés nommés par Donald Trump avaient, sans surprise, voté en faveur de la Louisiane, mais le président conservateur de la Cour John Roberts s’était rallié au progressistes pour bloquer la loi. Aujourd’hui, tous les regards sont donc portés sur lui et les défenseurs des droits des femmes à disposer de leurs corps espèrent que sa décision coupera court aux initiatives anti-avortement actuellement à l’œuvre dans de nombreux états conservateurs du sud et du centre du pays.

Pour la Louisiane, les médecins qui pratiquent l’avortement n’agissent pas dans l’intérêt des femmes

Outre le fait qu’elle doit se prononcer sur cette loi, la Cour a accepté de répondre à une question sur la légitimité des médecins de recourir à la justice pour défendre le droit à l’avortement. En effet, d’après la Louisiane, les docteurs n’agissent pas dans l’intérêt des femmes. Si la Cour s’avère être dans cet avis, cela pourrait signifier qu’elle accepte l’idée que l’avortement est mauvais pour les femmes, analyse Marie Ziegler.

Concrètement, cela pourrait compliquer toute poursuite par la suite, explique Travis Tru. Quand une femme cherchera à avorter, elle ne pourra sans doute pas trouver un avocat pour défendre ses droits devant la Justice…

Contourner chaque jour un peu plus le droit à l’IVG

Cette affaire illustre bien la volonté de Donald Trump de revenir sur le droit à l’IVG. Deux jours après son investiture, le président républicain avait déjà bloqué les financements aux ONG internationales communiquant des informations sur l’IVG. En 2018, il avait ensuite décidé de ne plus accorder de subventions aux centres de santé pratiquant l’avortement. Il y a quelques semaines, il a participé à une marche contre l’avortement, une manifestation organisée tous les 22 janvier, date anniversaire de l’arrêt Roe V. Wade. 

Désormais, six Etats ne comptent plus qu’une seule clinique pratiquant l’IVG. Au Texas, les fœtus issus des avortements ne sont plus considérés comme des déchets médicaux et doivent maintenant être incinérés ou enterrés. Au Missouri, une loi a tenté de punir de quinze ans de prison tout IVG au-delà de la huitième semaine de grossesse, mais un juge fédéral l’a temporairement et en partie suspendue. D’autres Etats comme la Géorgie, le Mississipi, le Kentucky ou encore l’Ohio souhaitent quant à eux interdire l’IVG dès que le battement du cœur est détectable, soit dès la sixième semaine, alors que certaines femmes ignorent encore alors être enceintes à ce stade. Enfin, en Alabama, la législation a essayé d’interdire l’IVG même pour les victimes de viol ou d’inceste : un médecin qui pratiquerait cette intervention pourrait être condamné à quatre-vingt-dix neuf ans de prison, soit une peine supérieure à celle du violeur, rappelle BFMTV.  

Pour la politologue Marie-Cécile Naves, interrogée par le média, il ne s’agit pas tant de renverser l’arrêt que de le fragiliser en donnant plus de pouvoir aux Etats fédérés pour le contourner de plus en plus. "L'opinion publique reste majoritairement favorable à l'avortement et John Roberts, le président de la Cour suprême, souhaite conserver une posture neutre. Il ne veut pas que cette institution soit entachée d'une image trop partisane. Il souhaite qu'elle reflète l'état des forces même s'il est évident qu'il y a une tentation de durcissement et que le climat peu favorable aux droits des femmes fait pression. Ce qui ne signifie pas pour autant qu'elle ne puisse pas juger constitutionnelle la loi de la Louisiane”, explique-t-elle.