Les analgésiques contenant des opioïdes sont essentiels dans les soins aux personnes traitées pour un cancer, tout comme aux patients en postopératoire. Malgré ces avantages, ils sont également associés à de nombreux effets secondaires et à une mauvaise utilisation, notamment aux États-Unis. Les travaux d'une équipe de chercheurs de l’hôpital universitaire de la Charité de Berlin (Allemagne) pourraient constituer la première étape dans le développement d'une nouvelle génération d'analgésiques qui ne provoquent pas les effets secondaires des médicaments actuels.
Les résultats, publiés dans la revue Scientific Reports, montrent que l'acidité ou le pH des tissus à la source de la douleur ou de la blessure est un facteur décisif dans le développement du nouveau médicament. La constante d’acidité (pKa), d’une molécule opioïde détermine son profil de risque, ainsi que son potentiel de dépendance.
Le problème de la dépendance
Au cours des dernières décennies, le potentiel de dépendance est devenu une considération importante pour ceux qui travaillent à la mise au point de médicaments antidouleur sûrs et durables. La propriété analgésique des opioïdes facilite la dépendance, un problème aggravé par “l’enthousiasme” que suscite la prescription de ces médicaments. Aux États-Unis, le problème a atteint des proportions telles que le pays est en proie à une crise des opioïdes. L'Allemagne suit le même chemin, avec une augmentation de la prescription de médicaments contenant des opioïdes, même pour des douleurs chroniques non liées au cancer.
Il y a un besoin urgent de médicaments qui ont de puissantes propriétés antidouleur mais qui présentent moins de risques de dépendance. C'est ce à quoi s'emploie l'équipe de chercheurs dirigée par le professeur Christoph Stein, chef de l'unité d'anesthésiologie expérimentale de l’hôpital de la Charité.
Les recherches précédentes ont conduit au développement de trois nouvelles substances opioïdes appelées FF6, FF3 et NFEPP. Les chercheurs ont examiné les propriétés antidouleur de ces substances en les utilisant sur un modèle animal de douleur inflammatoire. Ils ont également étudié les effets secondaires tels que la fatigue, la constipation et le risque d'arrêt respiratoire et de dépendance.
Les résultats de leurs expériences semblent encourageants. Selon Christoph Stein, “plus la valeur de la constante d’acidité de la molécule correspond au niveau d'acidité du tissu enflammé ou blessé, plus l'activation des récepteurs opioïdes à la source de la douleur est sélective, et donc, plus le risque de dépendance ou d'effets secondaires est faible. Dans le cas du Fentanyl (un antidouleur 100 fois plus puissant que la morphine, NDLR), la valeur du pKa est supérieure au pH physiologique normal. Cet opioïde standard pénètre donc plus facilement dans le cerveau.”
Cibler le lieu de la blessure
Les chercheurs tentent de soulager la douleur inflammatoire et postopératoire en ciblant directement le site d'origine. Par rapport aux opioïdes classiques, les nouveaux médicaments n'activeront les récepteurs opioïdes que dans des conditions acides. De la même manière, ils n'agiront que sur les tissus lésés, ce qui n’entraînera pas d'effets secondaires.
“Nous avons utilisé des cellules en culture pour étudier les modes d'interaction entre les récepteurs opioïdes et les molécules de liaison à différents niveaux de pH. Nous l'avons fait pour déterminer les propriétés chimiques nécessaires pour optimiser les effets de ces nouveaux médicaments. Certains des récepteurs ont également été génétiquement modifiés, explique Christoph Stein. Nous sommes arrivés à la conclusion que la valeur pKa détermine le profil de risque d'une molécule opioïde particulière, c'est-à-dire ses effets secondaires, tels que la fatigue ou l'arrêt respiratoire. Jusqu'à présent, personne ne connaissait la signification des valeurs de pH et de pKa et leur rôle dans la sécurité des opioïdes.”
Le développement de cette nouvelle catégorie d'analgésiques pourrait faire disparaître les effets secondaires et les dépendances. Le professeur Stein se dit confiant quant au succès de la nouvelle génération de médicaments, qui sont désormais disponibles pour la première fois pour une utilisation par voie intraveineuse. Les premiers essais cliniques sur les nouveaux médicaments commenceront dans deux à trois ans. L'équipe étudie également les médicaments dérivés des substances nouvellement développées à l'Institut de la santé de Berlin.