- Une maternité a fermé il y a deux ans à St Claude dans le Haut-Jura
- Les femmes de cette région doivent se rendre pour accoucher à Lons-Le-Saunier, Oyonnax ou Pontarlier
- Les distances à parcourir entraînent une multiplication des accouchements dans des conditions dangereuses
Un nouvel exemple frappant du désert médical qui touche de plus en plus de Français. Dans le Jura, les femmes doivent désormais parfois accoucher dans des conditions extrêmes. Depuis deux ans, la maternité de l’hôpital Louis Jaillon à Saint-Claude, commune de 11 000 âmes, a dû fermer par manque de personnels et de budget. Depuis, les Sanclaudiennes et les habitantes des alentours doivent se rendre à Lons-le-Saunier, Oyonnax (Ain) ou Pontarlier (Doubs) pour accoucher. Pour s’y rendre, elles doivent emprunter des routes départementales sinueuses, bordées d'arbres et souvent bloquées par la neige. Des trajets qui ont donné lieu à des situations très dangereuses, comme le rapporte Franceinfo dans un reportage paru le 8 mars.
Le média relate notamment le cas de Virginie, 32 ans, qui s’est fait renvoyer par la sage-femme de Lons-le-Saunier car son col n’était dilaté qu’à un centimètre. Le lendemain, la jeune femme est emmenée à la maternité d’Oyonnax, plus proche, dans un camion de pompier. Elle voyage entre une sage-femme, le médecin et deux infirmières appelées en renfort. Les nombreux virages accélèrent les contractions et Virginie finit par accoucher sur le bord de la route. “Heureusement que Céline (Champagne, NDLR), la sage-femme, était dans le camion. Si elle n'avait pas été là, c’était fini”, témoigne-t-elle jeune maman à Franceinfo.
Sophie, quant à elle, a dû donner naissance à ses jumelles, Sensa et Céleste, à l’arrière de la voiture de ses parents à 10 kilomètres de la maternité de Lons-le-Saunier, sur la route de Montaigu, le 7 janvier 2020.
Le 20 janvier, Sarah et son conjoint sont déjà en route pour la maternité de Pontarlier quand elle réussit enfin à joindre Céline Champagne. Les futurs parents font immédiatement demi-tour et rejoignent la sage-femme à la maison médicale de Clavières, à Septmoncel, au bord de la D436. Quelques minutes plus tard, le bébé vient au monde. “Si Céline n’avait pas répondu, j’accouchais sur la route”, raconte la jeune maman.
Des difficultés de recrutement
Pourquoi la maternité de Saint-Claude a-t-elle donc fermé ses portes ? “En 2016, plus de 40% des jeunes mères du bassin de vie couvert par le centre hospitalier avaient choisi d’accoucher dans un autre établissement”, explique l'Agence régionale de santé de Bourgogne-Franche-Comté (ARS) à Franceinfo. Dans ce “contexte de perte de confiance de la population”, les autorités sanitaires ont décidé en 2017 de fermer les services de maternité, de pédiatrie et de chirurgie conventionnelle avec hospitalisation. L’ARS et la direction hospitalière Jura Sud évoquent également des difficultés de recrutement.
Selon eux, “l'unique gynécologue obstétricien présent et l'absence de médecin anesthésiste titulaire” ne suffisaient pas à assurer une continuité des soins sans interruption. “Il était devenu plus dangereux de maintenir ouverte la maternité avec l'incertitude de pouvoir réellement réaliser les accouchements”, explique la direction hospitalière.
Le 2 avril 2018, la maternité est donc devenue un centre périnatal de proximité. Aujourd’hui, ce dernier assure des consultations prénatales et post-natales. Pour l’ARS, ce changement n’est pas un problème puisqu’elle assure la sécurisation du risque d’accouchement inopiné avec le Smur, les pompiers et les sages-femmes en activité libérale. “Nous n'avons pas constaté d'augmentation significative des accouchements réalisés hors structure hospitalière. Il y en a toujours moins d'une dizaine par an. En revanche, ils sont beaucoup plus médiatisés”, explique la direction du Centre hospitalier Jura Sud à Franceinfo.
Si les maternités voisines d’Oyonnax et de Lons-le-Saunier ont constaté une augmentation d’environ 25% de ses parturientes depuis la fermeture de Saint-Claude, tout est sous contrôle, assurent-elles. Certains médecins urgentistes ne sont toutefois pas de cet avis. Pour Eric Loupiac, contacté par Franceinfo, ces “naissances catastrophes” et dangereuses n’avaient pas lieu avant.
“C’est criminel de persister dans cette logique”
Le maire de Saint-Claude, Jean-Louis Millet, est quant à lui furieux. “La maternité a fermé dans des conditions lamentables. Personne n’était averti, ce fut d’une brutalité sans nom. Le personnel a découvert le matin en arrivant les portes de la maternité cadenassées. C’est honteux d’agir comme ça”, témoigne-t-il. “L'hôpital affichait un déficit de 3,7 millions en 2017 quand sa fermeture a été décidée. Aujourd’hui, le prévisionnel pour 2020 affiche quasiment le même déficit, 3,4 millions avec trois services fermés. Tous ces risques pris pour seulement une économie de 300 000€ !”, s’insurge celui qui, depuis deux ans maintenant, alerte les autorités sanitaires d’un danger imminent.
Il demande l’application de l’article 23 de la population de la loi montagne, qui garantit aux populations un accès “à une maternité dans des délais raisonnables non susceptibles de mettre en danger l'intégrité physique du patient en raison d'un temps de transport manifestement trop important”. Toutefois, malgré son travail acharné, la réouverture du dossier tarde. “C’est invraisemblable, ce mépris. Je considère qu’il y a homicide volontaire quand on alerte l’Etat et qu’il ne bouge pas. C’est criminel de persister dans cette logique.”
Millet peut entre autres compter sur le soutien d'André Jannet, le président du Comité de défense de l’hôpital de Saint-Claude. En mai 2017, le restaurateur avait organisé une manifestation ayant réuni des milliers de personnes. Cette année, les 26 et 27 janvier 2019, un référendum d'initiative populaire pour la réouverture de la maternité a récolté 6 105 “oui” sur 6 127 participants. Une quarantaine d’industriels, représentant environ 3 000 salariés selon lui, ont rejoint le comité. “Dans notre combat, ils y voient également leur intérêt car ils ont du mal à recruter des jeunes cadres. N’ayant pas de maternité de proximité, ils ne veulent pas vivre ici. Même constat pour les candidats gendarmes qui refusent d'être mutés dans la région”, explique-t-il, assurant que les pompiers devront bientôt choisir entre un incendie et une femme qui accouche.
Une baisse drastique du nombre de maternités ces quarante dernières années
En France, le nombre de maternités a été quasiment divisé par trois ces dernières décennies, passant de 1 369 en 1975 à 517 en 2016, selon le ministère de la Santé. En 2016, sur 785 000 naissances, 1% d’entre elles a eu lieu hors maternité (en maison de naissance, à domicile ou en chemin vers l’hôpital…).
Selon une récente étude de la Drees, (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques), 167 000 femmes en âge de procréer habitent à au moins 45 minutes de la maternité la plus proche. Qui plus est, près de 1,6 million de femmes âgées de 15 à 49 ans résident dans une commune manquant de sages-femmes. Au total, 1,5% de la population rencontre ces deux difficultés. Si on passe le seuil à 30 minutes de trajet, cette proportion s’élève même à 5,4%.
En 2013, une étude réalisée en Bourgogne avait analysé les conséquences du temps de parcours du domicile à la maternité la plus proche sur les indicateurs de périnatalité. Pour des temps supérieurs à 45 minutes, les taux bruts de mortinatalité y passeraient de 0,46% à 0,86% et ceux de la mortalité périnatale de 0,64% à 1,07%.