Lucie, 30 ans, maîtresse, confinée en région parisienne avec son petit ami
Je suis éducatrice dans une école Montessori. Je suis actuellement au chômage partiel et payée entre 70 et 80% de mon salaire, donc je ne suis pas censée travailler mais je n’ai pas le choix, il faut soutenir les familles. Comme je travaille avec des enfants qui ont entre 3 et 6 ans et sachant que seuls deux d’entre eux savent lire, c’est compliqué de leur envoyer des devoirs par e-mail ! Je donne donc des conseils éducatifs aux parents pour qu’ils autonomisent l’enfant au maximum et le fasse participer le plus possible à la vie de la maison. Le problème, c’est que notre méthode s’appuie sur un matériel très spécifique que nous avons uniquement en classe. Néanmoins, l’avantage du télétravail, c’est qu’au lieu de me lever à 6h pour aller à l’école, je mets mon réveil à 8h. A 9h, je me mets en action, et ce jusqu’à 17h. Pourtant, je dois dire que j’ai du mal à me concentrer. Le soir, j’aurais bien fait un peu de pâtisserie, mais il n’y a plus de farine dans les supermarchés. J’aurais aussi bien profité de ce temps à la maison pour faire de la couture mais je n’ai pas prévu le coup donc je n’ai pas ce qu'il faut non plus! Je compte respecter les préconisations au maximum et sortir le moins possible, je m’en voudrais de me dire que j’ai causé la mort d’un petit vieux. Avec mon copain, en télétravail également, ça se passe bien pour l’instant mais ça n’est que le début… Je dois dire que le “Nous sommes en guerre” de Macron, répété en boucle à la télé lundi soir, nous a un peu stressé !
Pauline, 30 ans, chef de projet expatriée en Pologne, confinée avec son fiancé à Varsovie
Je suis coincée en Pologne depuis qu'ils ont bloqué les frontières samedi soir. Au début, j’étais angoissée d’être loin de ma famille mais maintenant, je me dis que c’est peut-être mieux. Comme moi, mes sœurs sont à l’étranger, donc, au moins, on ne fait courir aucun risque à mes parents. Pour l’instant, ça se passe bien avec mon fiancé car nous sommes tous les deux très occupés avec notre travail et nous passons la journée dans une pièce séparée. Mon job, je peux le faire à distance : j’ai un tas d’outils qui me permettent d’être en contact avec mon équipe en temps réel et de présenter des résultats concrets. Mais comme je ne vois pas les gens en vrai, le temps passé à les contacter puis à échanger au téléphone, où la communication est beaucoup moins fluide, reste énorme ! Je travaille beaucoup et finis tous les soirs vers 20h30-21 heures. Je ne suis pas prête de m’ennuyer ! Ce qui me stresse vraiment, c’est le weekend. J’ai commandé des bouquins sur Amazon et j’ai vu qu’il y avait des opéras qui avaient mis leur contenu en ligne, mais j’ai besoin de sortir. Je ne me sens pas du tout à l’aise avec le fait de rester en intérieur. Vivre dans l’espace où je travaille fait qu’il n’y a jamais de césure et je trouve ça malsain. Toutefois, l’avantage de tout ça, c’est que je me dis que ça va en pousser certains à avoir un regard neuf sur le télétravail dans le monde de l'entreprise. Alors que mon client était très réfractaire à l’idée des rendez-vous par Skype, il voit bien que mon équipe et moi sommes très connectées et efficaces. A un niveau individuel, je me rends compte que nous faisons beaucoup de choses par consumérisme et le fait de ralentir remet tout en perspective. Enfin, j’ai beau dire ça, je continue à travailler bien plus qu’il ne faudrait !
Hugues, 65 ans, commercial en gestion de patrimoine spécialisée dans la défiscalisation au moyen d’investissements dans les monuments historiques pour les particuliers, confiné dans sa maison de campagne en Touraine avec sa femme et ses enfants
Comme je suis commercial, je ne vais pas relancer les gens par téléphone cette semaine. Je pars du principe qu’ils ont autre chose à faire que de penser à la défiscalisation. Là, je maintiens le mailing qui était prévu initialement, je m’occupe de la rédaction d’un livre blanc sur la loi Malraux et la semaine prochaine, les gens seront peut-être plus à l’écoute et je les appellerai. Je serai plus agressif commercialement. Là, beaucoup de clients ont peur d’investir à cause de la bourse. C'est certain qu’il va y avoir de la casse, et il va falloir que je gère. Sinon, je vis plutôt bien ce confinement. Je suis parti à la campagne avec mes enfants et ma femme. Je suis très en forme et ne suis pas du tout inquiet pour ma santé. On vit en vase clos, on ne voit personne d’autre, mais on a beaucoup de l’espace. Chacun travaille dans une pièce différente et cela se passe bien. Comme cette semaine est calme professionnellement, j’en profite pour jardiner. On déjeune dehors et j’ai même proposé à ma femme de faire un tennis. On est au milieu de nulle part, on ne risque rien et on ne fait courir de risque à personne.
Denise, 44 ans, Américaine expatriée à Paris, confinée seule
Je suis expat’ depuis sept ans donc j’ai l’habitude de parler à ma famille par Skype. Je parle toujours très régulièrement à ma mère et à mes amis, et encore plus en ce moment, le soir, car tout le monde est très inquiet pour moi. Aux Etats-Unis, la situation n’en est pas encore au même stade qu’ici. Ils ont fermé les bars, les restaurants et les écoles mais beaucoup de gens se sont mis en quarantaine d’eux-mêmes et se sont rués sur les supermarchés comme des fous, c'était un peu ridicule. Ici, c'est plutôt le contraire. Les gens étaient plus dans l’inconscience jusqu’au bout. J’étais assez choquée de voir que plein de Parisiens ne suivaient pas les directives gouvernementales ce weekend encore. Au niveau de ma vie quotidienne, le télétravail ne me change pas grand-chose. La plupart de mes clients sont dispersés à travers l’Europe donc je leur parlais déjà par Internet. Aujourd’hui par exemple, j’ai huit conférences Skype avec des clients. J’essaye de travailler de 9h à 18h tous les jours, puis j’ai trouvé sur YouTube une routine Yoga à pratiquer quotidiennement mais j’avoue qu’à un certain stade, je vais peut-être me mettre au jogging rien que pour sortir un peu. Même si je déteste ça !
Tristan, 32 ans, chargé des contentieux locatifs pour un bailleur social, confiné en région parisienne avec sa femme
Pour l’instant, je continue à travailler de chez moi comme à l’ordinaire, de 9h30 à 17h30, avec une balade entre midi et deux, mais c’est sûr qu’il y a moins de choses à faire. Au niveau judiciaire, tout est fermé donc ça change pas mal de choses. Le soir, je discute avec ma femme, je lui prépare à manger. Tout se passe très bien mais elle est assez stressée et émotive car on attend un enfant et le climat ambiant est assez angoissant. On est contents qu’elle n’accouche pas tout de suite mais en juin. On espère que tout sera réglé d’ici là… Heureusement, il n’y a pas plus de risque pour les femmes enceintes. Ce qui me fait le plus peur dans le confinement, c’est la lassitude. On va faire des apéro-Skype avec les copains, ce weekend on ira faire le tour du pâté de maison. On a commandé un vélo elliptique qui devrait arriver vendredi, et ce soir, je pense que courir dans le quartier histoire de me défouler. Ca évite de trop stresser.
Taïs, 26 ans, professeur d’histoire-géo pour des lycéens, confinée en région parisienne avec son petit ami
Pour moi, c’est une toute nouvelle façon de travailler. L’école s’est abonnée à l’application GoToMeeting. On a un planning avec des salles virtuelles et je donne mes cours par ce biais. C’est plutôt bien suivi par les élèves, mais comme c’est plus difficile de maintenir leur attention de cette façon, on a dû réduire le nombre d’heures de cours et augmenter la charge de travail personnel. J’ai donc plus de corrections à faire car je dois corriger chaque devoir à l’écrit quand avant je pouvais faire une correction groupée pour toute classe à l’oral. C’est assez difficile pour moi de passer la journée devant un écran, car en tant que prof, j'ai l’habitude d’être sans cesse debout et en mouvement. Pour le soir, j’ai donc téléchargé une application pour faire du fitness et du yoga et je lis. J'essaye d’éviter les écrans au maximum. Avec mon petit ami, je dois dire que c’est compliqué. La situation actuelle est très anxiogène pour tout le monde mais moi j’étais très stressée car j’ai une maladie auto-immune et chronique, le lupus, qui me rend plus vulnérable, et le fait que mon petit ami soit tout le temps dehors et en contact avec des gens pour son travail a créé beaucoup de tensions entre nous. D’autant plus que depuis quelques jours, j’ai plus de 38 de fièvre… Récemment, j’ai appris que les médicaments antipaludiques pourraient protéger de la maladie. Or, je prends du Plaquenil en continu depuis quelques mois car j'étais en crise, donc je devrais être immunisée. Je suis rassurée.
Vincent, 32 ans, développeur, confiné seul en région parisienne
Je suis prestataire dans une entreprise, donc mon statut n’est pas reconnu et, jusqu’à lundi, ils avaient mis tout le monde au télétravail sauf nous. Finalement, ils nous ont dit de prendre nos ordinateurs fixes et nous ont renvoyés chez nous. Je ne le vis pas bien. J’ai un métier qui permet très facilement le télétravail mais je l’ai toujours refusé car je n’arrive pas à me concentrer. Là, je réponds à quelques mails et en même temps je joue aux jeux vidéo. Ca me déprime et je culpabilise. Je pense que je vais devoir me mettre en congé sans solde. S’il n’y avait pas eu le travail ça aurait été le paradis de me confiner car je suis un grand asocial. M’enfermer chez moi pendant quinze jours sans que personne ne me fasse culpabiliser car je refuse toutes les invitations, pour moi c’est le rêve. Là, à 18 heures, quand le boulot est officiellement terminé, je me mets dans mon canapé, je bouquine, je regarde des vidéos, c’est la belle vie. Je parle à mes amis sur Discord, un logiciel utilisé à l’origine pour les joueurs mais que l'on peut utiliser pour la conférence. Je ne compte pas sortir du tout, même pour prendre l’air dans le pâté de maison. Ce confinement est très important et il faut le faire le plus sérieusement possible. Pour une fois que la société m’encourage à rester chez moi, je suis plutôt fier de mon comportement. Mes seules inquiétudes concernent ma grand-mère, seule chez elle. Cela ne doit pas être facile pour elle mais on l’appelle tous chaque jour.
Aude, 58 ans, consultante en bilans de compétence, 58 ans, confinée en région parisienne avec un de ses enfants
Je suis freelance pour un cabinet de ressources humaines et normalement je me déplace dans nos bureaux pour mes rendez-vous. Mon métier, c’est surtout de la relation et de l'intuitif qui comporte beaucoup d’entretiens préliminaires où les gens décident s’ils veulent un bilan ou pas. La plupart des entretiens de ce genre ont été décalés à après le confinement. Cela va beaucoup m’affecter financièrement et cela bouleverse l’avenir proche du métier. En revanche, pour les bilans qui ont déjà commencé, certains acceptent de continuer à distance, surtout les jeunes. Les plus de 45 ans sont plus réfractaires au fonctionnement numérique. Là, je suis avec mon aînée et le premier soir du confinement, j’ai fait un malaise vagal. Ma fille a fait une crise d’asthme et ça m’a ramenée au temps de son enfance où elle faisait des bronchites asthmatiformes assez dangereuses. Je me suis levée pour aller lui faire une tisane et je suis tombée dans les pommes sur le sol de la cuisine. Maintenant ça va mieux, mais je suis toujours un peu stressée car mes deux autres filles ne sont pas avec moi. Même si ce n’est pas loin géographiquement, je ne peux pas y aller, de peur de leur refiler quoi que ce soit, comme mon aînée est malade. Ce qui m’angoisse, c’est surtout de savoir que le supermarché à côté d’elles n’est pas très bien approvisionné. Mais, au moins, elles sont ensemble et leur appartement a une taille décente. Cela pourrait être pire.
Alexandre, 32 ans, prévisionniste dans une entreprise agroalimentaire, Parisien confiné en Dordogne avec des amis
Je suis parti m’isoler dans la campagne bien profonde avec deux couples d’amis et la mère de l’un d’entre eux. On a mis sept heures pour venir, c’était très embouteillé lundi. Je sais que ce n’était pas forcément raisonnable mais c’était ça ou rester tout seul dans mon 30 m2 à Paris. Maintenant, on ne se déplace plus et sur le long terme, cette décision nous permettra d’éviter d’être tenté de braver les mesures gouvernementales. On a un jardin et une forêt où on peut se promener. L’autre partie de la famille de mon ami à qui appartient la maison est isolée dans une autre partie, on a fermé les portes et nous ne sommes pas en contact avec eux. Nous prenons notre température tous les jours. Je suis assez serein car j’ai la température la plus basse du groupe donc je sais que je leur survivrai tous! Au niveau du travail, je me suis enfermé dans ma chambre pour éviter de voir mes amis jouer à la Playstation car moi je croule sous les mails. Je suis prévisionniste dans une entreprise agroalimentaire, un secteur prioritaire aujourd’hui, donc je reçois des messages sans arrêt. C’est difficile de se motiver pour travailler en distance mais les demandes affluent de toute part donc je ne peux pas me permettre d’arrêter. Quant aux soirées, on regarde des films, on a pas mal de jeux de société, on a prévu de faire des karaokés, des soirées déguisées et même de créer un podcast pour donner des petits conseils aux gens pour “la vie pendant le confinement”.
Maureen, 31 ans, consultante pour un cabinet de conseil, confinée seule en région parisienne
Le premier jour de télétravail était horrible, j’avais du mal à m’ajuster et j’ai enfin pris l’ampleur des choses. D’autant plus que je suis dans 30 m2 : je n’ai pas un espace dédié à mon travail. Je me suis établi un petit planning et aujourd’hui ça va mieux. Je me suis levée à une heure décente, j’ai pris ma douche, je me suis forcée à m’habiller avec de vrais vêtements et j’ai mis mon téléphone dans une autre pièce pour pas être distraite sans arrêt. Mon travail est tout à fait faisable à distance, on a plein d’outils pour communiquer. Pourtant, c’est vrai que l’échange d’informations est un peu plus laborieux et lent qu’en vrai. Maintenant, pendant les conférences avec les collègues, tu entends des “maman”, “papa” de la part des enfants toutes les deux minutes, c’est assez drôle. Ce qui m’angoissait le plus à l'origine c’était de ne pas sortir, l’autorisation d’aller faire de l’exercice me rassure beaucoup mais c’est une zone grise. J’habite aux Batignolles, aujourd'hui je suis sortie acheter une salade pour le déjeuner et j’ai vu plein de gens dehors qui promenaient leurs enfants. Au niveau de ma vie sociale, cela m’est déjà arrivé de ne voir personne pendant plusieurs semaines quand je n’étais pas d’humeur ou pendant des révisions de partiels donc je ne m'inquiète pas du tout. Je suis d'ailleurs ultra-connectée sur les réseaux sociaux avec mes amis. Je vais aussi profiter de cette période pour ne plus boire d’alcool du tout, ça me fera du bien. Ce qui m’embête le plus, c’est que je viens de rencontrer un garçon que j’aimais vraiment bien et si on ne se voit pas pendant des semaines, ça risque de retomber… D’ici quelques jours, on n'aura plus rien à se dire par message, c’est sûr !
Isabella, 30 ans, Suédoise expatriée à Paris, chargée de contenus vidéos dans la musique, confinée avec une amie
Je travaille dans le numérique, dans la musique. Je peux tout à fait travailler de chez moi mais je suis en période de formation donc je galère beaucoup car personne n’est là pour me guider. Je dois tout apprendre seule et c’est assez compliqué. J’ai peur que ça perturbe ma période d’essai. J’essaye de travailler tous les jours jusqu’à 18h mais j’ai du mal à garder un rythme normal, j’oublie de prendre ma pause déjeuner, je suis comme une machine devant mon ordinateur et je ne m’arrête pas, ce n’est pas très sain. Le soir, ma copine et moi regardons des films, on fait la cuisine, on écoute de la musique, on discute, on boit, on fume, on essaye de se détendre… Maintenant ça va beaucoup mieux car j’ai trouvé quelqu’un avec qui passer cette période de confinement, mais quand j’ai appris qu’il allait falloir rester chez soi et que j’ai compris que tous mes amis partaient s’isoler chez leurs parents à la campagne, je me suis sentie complètement seule. Je n’ai pas de famille ici et je me suis vue passer cinq semaines toute seule dans mon petit appart avec mon chat, j’ai paniqué. Aujourd'hui, je suis ravie d’être avec mon amie, tout se passe très bien entre nous, mais on reparle dans trois semaines !
Laura, 34 ans, confinée dans une auberge de jeunesse à Cusco, au Pérou, avec son petit ami et… 45 autres touristes
Je suis en road trip en Amérique latine avec mon copain. Nous sommes arrivés au Pérou il y a trois semaines. A ce moment là, il n’y avait quasiment aucun cas de coronavirus sur le continent. Mais depuis quelques semaines, la situation s’aggrave et les Péruviens sont de plus en plus méfiants envers les étrangers, surtout les Français. Il y a quelques jours, on a donc décidé de quitter notre Airbnb chez des locaux pour se rendre en auberge. On s’est dit qu’on serait plus informés de la situation avec des touristes. Il y a 48 heures, sans crier gare, ils ont confiné l’auberge. Nous sommes coincés avec 45 inconnus sans aucune possibilité de sortir pour quoi que ce soit, des policiers sont partout dans les rues. On doit noter ce dont on a besoin sur une liste et une seule personne fait les courses pour tout le monde. On dort dans un dortoir de quatre, le wifi est complètement saturé car tout le monde essaye de joindre sa famille en même temps donc il faut faire attention à ne pas trop rester au téléphone. Il ne faut pas non plus se doucher trop longtemps ou utiliser trop de gaz si on veut qu’il en reste pour les autres. Pour que ça se passe bien sur le long terme, on doit tous se restreindre et faire attention à son voisin. Nous ignorons combien de temps cette situation durera, et nous n’avons aucune information de l’ambassade. Je ne sais pas si nous allons être rapatriés, quand ou comment, mais ça va sans doute finir comme ça et nos projets de voyage avec. Nous avions prévu de partir pour un an et demi, ça ne fait que quelques mois que nous sommes là-bas. En France, je n’ai plus de boulot, plus d’appart, je ne suis pas du tout prête pour rentrer, ça m’angoisse vraiment… Tant qu'on n'en sait pas plus des cours de sport collectifs s’organisent entre nous, des cours de langue… on attend, coincés comme des sardines.