Le professeur Jean-Luc Harousseau, hématologue de réputation mondiale, ancien directeur de la Haute Autorité de Santé (HAS) de 2011 à 2016, fulmine depuis son confinement Baulois. « Je connais les règles de la recherche clinique. Je sais qu’il faut avoir des preuves pour aller plus loin. Mais c’est quand on le temps ! Et là, on n’a pas le temps. On est devant une vague énorme qui va tout engloutir. Combien de morts pendant les 15 jours pendant lesquels il va falloir attendre ? »
"Notre seule chance est un traitement efficace, commençons tout de suite !"
Pour Jean-Luc Harousseau, il y a de bonnes raisons de croire le professeur Raoult, qui dirige, selon ses propres termes « le plus gros laboratoire universitaire de virologie en France » et qui recommande, après des essais cliniques sur 24 patients à Marseille, de prescrire de la chloroquine aux personnes atteintes de Covid-19. Et le professeur enfonce le clou :« De grâce, ne perdons pas de temps, nous n’avons eu pas eu beaucoup de masques, pas de tests pour tout le monde, nous avons pris du retard pour le confinement… Notre seule chance est d’avoir un traitement efficace. Commençons tout de suite ! »
Jean-Luc Harrouseau rappelle que, dans sa spécialité, les greffes de moelle dans les cancers du sang, lui et ses confrères ont eu à prendre ce type de risques…Des prises de décisions sans compter parfois sur des études solides. « A cette époque, nous nous étions entourés de précautions, parce que c’étaient des traitements coûteux et dangereux. Mais là, c’est un traitement qui ne coûte rien. Le laboratoire Sanofi, qui le fabrique, s’est engagé à donner 1 millions de doses. (NDR: Le laboratoire Novartis également) Des doses recommandées par le professeur Raoult et qui sont plutôt bien tolérées. Qu’est-ce qu’on attend ? ».
"C'est croire à quelque chose d'hypothétique"
De son côté, le Professeur Jean-François Bergmann, professeur de thérapeutique, une des voix les plus reconnues et écoutées, ne veut pas qu’on déroge aux règles qui garantissent une médecine par les preuves… "Aujourd’hui je ne peux pas prendre le risque, je n’ai pas de preuves solides. J’ai lu l’essai de Marseille. Malheureusement il est mal fait et ne peut pas convaincre. Il est peut-être vrai mais il y a tellement de biais, avec plein de données manquantes que l’on ne peut pas y croire. Et c’est dommage". Et le pharmacologue condamne les médecins qui s’apprêtent à le prescrire en dehors des essais en cours. « C’est croire à quelque chose d’hypothétique. Si en médecine, on commence à croire aux hypothèses de X ou Y, tout intelligents ou géniaux qu’ils soient, on va faire des bêtises ».
Une attitude que ne comprends pas Jean-Luc Harousseau. Et son message a de quoi surprendre quand on connaît l’itinéraire universitaire du médecin : « C’est un point de vue académique dépassé dans les circonstances ou nous vivons. On n'a jamais vécu une telle épidémie. Ne soyons pas frileux… »
"C'est à l'exécutif de prendre une décision"
De qui devrait venir l’ordre ? Le professeur n’hésite pas une seconde. « C’est à l’exécutif de prendre la décision. Le président qui a montré par le passé qu’il savait prendre des risques, doit prendre ce risque qui est très mesuré. Il doit donner au ministre de la santé des directives pour la prescription du produit, dans les règles strictes de surveillance médicale avec un consentement informé en respectant les contre-indications. Ça doit venir d’en haut et de nombreux médecins attendent cela ! »
Le professeur Harousseau est conscient de ce que signifie sa prise de position compte tenu de son passé de médecin hospitalier et de ses carrières politique et administrative : « Écoutez, c’est très simple : il n’y a rien à perdre, tout à gagner ! ». Clair et définitif. Pas de polémique a dit Olivier Véran… Oui. Mais pour Emmanuel Macron une décision lourde de signification.
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