Cela fait plus de deux siècles que le rôle photosensible de la rhodopsine, un pigment protéique présent dans les cellules photoréceptrices de la rétine, est connu des scientifiques. La rhodopsine est notamment composée par l'opsine, une protéine photoréceptrice responsable de la vue, sur laquelle se fixe le rétinal, un aldéhyde de la vitamine A. C'est la photoisomérisation du rétinal qui régit le cycle de la vision.
Des chercheurs majoritairement issus de l'université de Californie à Santa Barbara (Etats-Unis) se sont intéressés de près aux fonctions de l'opsine dans une étude co-écrite par Craig Montell et publiée dans la revue Current Biology. En 2011, le professeur et ses collègues avaient déjà découvert qu'un des trois types d'opsine rendait la mouche à fruits — aussi appelée drosophile — capable de détecter de légers changements de température.
Les mouches à fruits mutantes, incapables de déceler de petites concentrations d'acide aristolochique
Les chercheurs sont partis du principe que les opsines pouvaient potentiellement participer à la détection de signaux chimiques subtils, grâce à un processus d'amplification. Pour tester leur hypothèse, ils ont d'abord présenté aux mouches à fruits du sucre contenant de l'acide aristolochique dilué et, à côté, du sucre pur. Sans surprise, les insectes se sont dirigés vers ce dernier.
Les scientifiques ont ensuite réitéré l'expérience avec des mouches à fruits présentant des mutations les empêchant de synthétiser les différentes protéines d'opsine. Résultat : les insectes présentant des anomalies dans l'un des trois types d'opsine n'étaient pas capables de détecter les petites concentrations d'acide aristolochique et ont mangé environ la même quantité de sucre en contenant que de sucre pur. Néanmoins, les mouches mutantes étaient encore sensibles à d'importantes quantités du composé amer, qu'elles ont continué à éviter. En cause : l'activation du canal TRPA1, toujours présent chez les mouches sans opsines.
“Peut-être que les opsines représentent une nouvelle catégorie de récepteurs gustatifs chez les mammifères”
À partir de ces résultats, les chercheurs ont démontré que l'acide aristolochique activait les opsines en se liant au même endroit que le fait normalement le rétinal dans la rhodopsine. De la même manière que les récepteurs rhodopsine s'activent avec une lumière très faible, les opsines activées chimiquement ont initié une “cascade moléculaire” qui a amplifié les petits signaux. C'est cette opération qui a permis aux mouches de détecter les concentrations du composé qui, autrement, auraient été insuffisantes pour déclencher une réponse dans leurs neurones sensoriels.
“C'est le premier exemple du rôle des opsines dans le goût ou dans quelque forme de sensation chimique”, assure Craig Montell dans un communiqué publié sur le site de l'université de Californie à Santa Barbara. Cette découverte pourrait avoir un impact dépassant le cas de la mouche à fruits. “Les conséquences sont peut-être que les opsines représentent une nouvelle catégorie de récepteurs gustatifs chez les mammifères, y compris les humains”, envisage Craig Montell. Les chercheurs sont actuellement en train d'explorer cette hypothèse.