Par manque de moyens, 14% des Français ont renoncé à des soins en 2006. Un argument supplémentaire pour les opposants aux franchises médicales instaurées depuis le début de l'année. Pour Bruno Pascal-Chavalier, malade du sida en grève des soins depuis l'automne 2007, cela confirme ses observations de terrain. « Depuis janvier, qui marque à la fois l'entrée en application des franchises et la médiatisation de mon action, je reçois chaque jour des témoignages de toute la France de personnes qui, elles, sont en grève des soins, mais malgré elles, parce qu'elles ne peuvent plus se soigner. » La pétition que Bruno Pascal-Chevalier a initiée, recueille aujourd'hui près de 550 000 signatures. Quels sont les soins auxquels renonçaient les Français en 2006 ? D'après l'enquête "santé protection sociale" menée par l'Institut de recherche en économie de la santé (Irdes), les personnes renoncent en majorité aux soins bucco-dentaires (63%), puis aux frais d'optique (25%) et aux consultations de spécialistes (16%). Le taux de renoncement varie en fonction du niveau de revenu des ménages. Ce sont les ouvriers non qualifiés, les employés administratifs et les employés de commerce qui déclarent le plus renoncer aux soins. Cela varie aussi en fonction de l'âge : les Français renoncent plus facilement entre 40 et 64 ans. Mais la principale cause de renoncement est l'absence de couverture par une complémentaire maladie. « En moyenne, 7% des Français déclarent ne pas avoir de couverture maladie complémentaire, explique Chantal Cases, directrice de l'Irdes. Au total, malgré l'existence de la couverture maladie universelle complémentaire et le chèque santé qui octroie une aide financière, l'accès à la couverture complémentaire santé est très inégal en France. »
Pour la première fois, l'enquête "santé protection sociale" mesure l'effort financier des ménages pour s'offrir une complémentaire. Le taux d'effort est plus élevé pour les ménages les plus pauvres. Le problème est que les ménages les plus pauvres sont ceux qui paient les primes le plus basses pour leurs contrats. « Ils consacrent donc une part nettement plus importante de leurs revenus pour acquérir des contrats qui offrent des garanties moins importantes… », explique Chantal Cases. L'enquête montre aussi une autre inégalité. Plus d'un contrat de couverture complémentaire sur deux est obtenu par l'intermédiaire de l'entreprise. Ce sont les ménages de cadres (71%) qui bénéficient le plus souvent de ces contrats collectifs, alors que les ménages d'employés du commerce nettement moins (45%). Or, les entreprises participent au financement des complémentaires santé collectives, en moyenne à hauteur de 50%, ce qui constitue un avantage en nature important pour les salariés. Bref, pour avoir une bonne complémentaire sans trop dépenser, il vaut mieux être un cadre dans une grande entreprise qu'être un employé dans un petit commerce…
Ces données éclairent le débat entamé par le gouvernement sur la part des dépenses de soins qui relèvent de l'assurance maladie et des assurances complémentaires. Aujourd'hui, 78 % des dépenses de soins et de biens médicaux sont assurés par le biais du régime d'assurance maladie, et 12 % par celui des régimes complémentaires (7% mutuelles, 3% assurances, 2% Institutions de prévoyance). Cette répartition varie fortement selon la nature des dépenses. La participation des organismes complémentaires aux dépenses hospitalières est limitée, tandis qu'ils prennent en charge une part plus importante des dépenses de médicaments et occupent une place prépondérante dans le remboursement des dépenses consacrées au dentaire et à l'optique. Des domaines où justement une part non négligeable de la population connaît des difficultés de couvertures, comme le prouve la dernière enquête "santé protection sociale". Alors, comment augmenter la part des assurances maladies complémentaires sans rendre le système encore plus inégalitaire ? Et éviter que les transferts qui soulageraient le régime obligatoire ne conduisent à des hausses de tarifs des contrats complémentaires. Car le gouvernement étudie notamment la possibilité d'un transfert complet des médicaments pris en charge à 35% par l'assurance maladie (une dépense de 700 millions à 2 milliards d'euros), ou la mise en place d'un ticket modérateur pour les affections de longue durée (50 milliards d'euros pour l'assurance maladie). Questions à Christian Saout, président du Collectif interassociatif sur la santé (1).
Un mouvement de démutualisation chez les jeunes Constatez-vous sur le terrain des renoncements aux soins ? Christian Saout. Nous aussi, nous avons constaté que des personnes renonçaient aux soins pour des raisons financières. Nous l'avons perçu au niveau du Ciss, que ce soit dans le cadre de sondage ou d'enquêtes de terrain menées sur la durée, et puis nous le voyons aussi dans le cadre des activités des associations qui sont membres du Ciss (1). Donc, nous avions déjà cette information que des patients refusaient d'aller consulter, et que ces renoncements aux soins existaient en volume assez important.
Vous partagez l'analyse de l'Irdes sur l'effort financier ? C. S. En effet, l'effort financier pour les ménages atteint un taux élevé maintenant. On a longtemps pensé que tout ça n'était pas si important que ça. En fait, ce n'est plus le cas. On sait très bien qu'il y a eu des mouvements de démutualisation chez les jeunes, et chez les personnes âgées. Les mutuelles le reconnaissent en privé, même si elles ne le clament pas en public. L'accès aux complémentaires est vraiment une difficulté pour les personnes d'autant plus que le fait d'avoir une complémentaire ne garantit pas que tous les soins soient couverts. Quand on ne peut s'acheter qu'une complémentaire à bas prix, on est remboursé pour des soins extrêmement limités. Les mutuelles ne sont pas très redistributives dans leur système.
Le transfert de charges entre assurance maladie et complémentaires n'est pas une solution ? C. S. Cela représentera un effort financier plus important pour les plus démunis. Mais surtout, cela nécessite d'ouvrir l'accès à la complémentaire pour tous. Et que les patients ne se retrouvent pas avec des garanties "bidons" de la part des complémentaires. Bref, il ne doit pas nous tomber sur le nez un modèle de Sécurité sociale qui ressemble à celui d'avant 1945… Il faut bien faire en sorte que l'ensemble de la population soit garantie d'accéder aux soins dans de bonnes conditions. Mais, dans ce débat, la parole des patients n'est pas très entendue. On m'a approché il y a une semaine pour me demander si nous voulions bien faire partie d'un groupe de réflexion sur les transferts de charges, et je constate que des pistes sont communiquées avant même que les négociations aient été ouvertes. Entretien avec M.G. (1) Le CISS regroupe plus d'une trentaine d'associations de patients. |