“Ces dernières semaines, nous avons pu reprendre l'importation de masques en provenance de Chine. Nous avons importé plus de masques cette semaine que ce que nous en consommons. Ces bons chiffres nous permettent d'envisager un élargissement de la politique de distribution de masques ces prochaines semaines”. Dimanche 19 avril, le premier ministre, Edouard Philippe, a annoncé à la télévision que le personnel médical allait désormais pouvoir être approvisionné correctement en masques FFP2 ou chirurgicaux. Cependant, est-on bien sûr que ces outils sont conformes aux normes en vigueur ?
On nous l'a suffisamment répété : tous les masques ne se valent pas. Preuve en est notamment avec une étude récente où, en Corée du Sud, des chercheurs ont utilisé des masques chirurgicaux jetables, constitués de 3 couches et des masques en coton réutilisables, composés de deux couches. Ils ont placé une boîte à 20 cm des patients, pour récolter d’éventuelles projections et ont demandé aux participants de tousser à 5 reprises, avec ou sans masque. Quel que soit le type de protection utilisé, les boîtes ont été contaminées par le virus.
Récemment, la Belgique, les Pays-Bas ou encore la Finlande ont reçu des cargaisons de masques inutilisables. En France, plusieurs entreprises ont été confrontées au même problème, assure Radio France. “Un client est venu vers nous pour voir si nous pouvions lui trouver des masques fiables (…) Sur la cargaison qu’il venait de recevoir, un quart était conforme, mais le reste était de très mauvaise qualité”, explique la société lyonnaise Sourcing Force, spécialisée dans la recherche de fournisseurs chinois, au média.
Des certificats sans valeur
Camille Verchery, le PDG de VVR international, également spécialisé dans la recherche de fournisseurs sur le marché chinois, cite l’exemple de la Chine. En janvier, face à l’explosion des besoins du pays, “de nombreuses usines non spécialisées se sont mises à produire des équipements de protection individuels (EPI) à usage médical, sans véritable expérience. Dans cette catégorie, on trouve absolument de tout, explique-t-il à Radio France. J’ai eu une cinquantaine de demandes d’entreprises françaises qui m’ont présenté des offres qui leur étaient faites par des producteurs de masques. Dans la quasi-totalité des cas, nous avons conclu que le matériel n’était pas fiable”, poursuit-il.
Pour attirer les clients, certains vont jusqu’à falsifier des documents censés attester de la conformité des masques à la norme CE (conformité européenne). En Europe, l’European Safety Federation (ESF) a recensé des dizaines de faux certificats en circulation.
“Nous sommes malheureusement informés par différentes sources des ‘certificats’ ou autres documents utilisés comme base pour le marquage CE des EPI (y compris les masques FFP2/FFP3 et les protections oculaires), alors que ces ‘certificats’ n'ont aucune valeur juridique et ne peuvent pas être utilisés comme conclusion de l'évaluation de la conformité. Il n'est pas clair si ces documents ont réellement été émis par les organisations mentionnées elles-mêmes ou s'ils sont faux (nous avons l'impression que de nombreux faux documents sont présentés comme preuve de conformité). Le FSE ne les accuse pas de le faire, nous voulons seulement les informer et les mettre en garde contre ces documents”, alerte la FSE sur son site.
“Plusieurs des instituts mentionnés offrent la possibilité de vérifier la validité du ‘certificat’ sur leur site web. Dans ces cas, une réponse ‘valable’ ne fait pas du document un certificat d'examen de type légalement valable. Cela signifie seulement que l'institut reconnaît avoir délivré le ‘certificat’ à ce producteur pour le produit mentionné”, rappelle l’organisme.
Certains organismes sont peu regardants
Il arrive que certains certificats portant la marque CE ne reposent que sur l’examen d’un dossier technique envoyé par un producteur situé à des milliers de kilomètres du contrôleur. “Nous intervenons comme consultants indépendants. Il faut le voir comme une première étape pour obtenir la certification CE. Nous ne pouvons pas être tenus responsables d’un mauvais usage de ce document, explique par exemple à Radio France ECM, émetteur de l’un de ces certificats mais pourtant normalement pas autorisé à certifier des équipements de sécurité. Face à l’explosion des besoins en Europe, certains de ces fabricants ont acheté des certificats CE de complaisance à certains organismes peu regardants”, déplore Camille Verchery.
“Je reçois dix demandes de dossiers par jour, alors que nous ne sommes pas autorisés à délivrer des certificats, mais les nouveaux acteurs connaissent mal la réglementation. En général, il faut trois à cinq mois pour un processus de certification complet, alors quand vous voyez un certificat qui vient tout juste d’être émis, il faut être prudent”, renchérit Pierre Lebon, de l’Asqual, un organisme effectuant des tests dans le cadre des certifications d’EPI, auprès de Radio France.
Des masques commandés par la région Ile-de-France ont été testés
Face à ces zones floues, l’Agence régionale de santé (ARS) a déjà procédé à quelques tests. Elle a notamment envoyé des masques chirurgicaux commandés par la région Ile-de-France au Laboratoire national d’essais. Ces derniers avaient été produits par l’agence chinoise Wensil, spécialisée dans la fabrication d’écharpes en soie. Résultat : s’ils ne disposent pas du marquage CE, ces masques protègent tout de même suffisamment assure le Laboratoire.
Toutefois, tous les masques entrant sur le territoire français seront-ils testés pour autant ? Le personnel de santé en doute et l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) reste muette sur le sujet. Tout comme le ministère de la Santé. D’après Edouard Philippe, le port du masque devrait sans doute devenir obligatoire pour le grand public dans les transports en commun d’ici les prochaines semaines.