« Docteur, tout me profite ». Cette explication utilisée par certains patients obèses a « du plomb dans l'aile ». C'est en tout cas l'avis du Dr David Meyre, chercheur à l'Inserm. « Les personnes souffrant d'obésité sévère ont bien une prise alimentaire accrue », ajoute-t-il. Pour affirmer cela, le Dr Meyre s'appuie sur la récente découverte qu'il vient de faire avec le Pr Philippe Froguel, directeur de recherche au CNRS. En collaboration avec leurs homologues britanniques, finlandais, suisses, canadiens et allemands, ils ont dessiné la première carte génétique de l'obésité sévère. En balayant le génome entier de 2796 volontaires (1780 obèses et 1416 sujets minces), les chercheurs ont tout d'abord confirmé que les gènes FTO et MC4R jouaient un rôle majeur dans la susceptibilité à l'obésité et à la prise de poids. Mais ils ont aussi identifié trois nouveaux gènes : MAF, PTER et NPC1. Résultat : l'hérédité pèse lourd. Elle serait responsable à 70 % d'une prise de poids excessive. La carte génétique regroupe 29 gènes et « la plupart d'entre eux s'expriment dans le cerveau, et plus précisément dans le centre du contrôle alimentaire, explique le Dr Meyre. Ils agissent donc sur le sentiment de satiété. » Cependant, ces mutations ne sont pas l'apanage des obèses. L'équipe du Pr Froguel a en effet démontré que la banale prise de poids relevait du même processus. « En fait, les personnes qui cumulent plusieurs de ces mutations génétiques ont un risque quasi-automatique de devenir obèses », commente l'un des auteurs de l'étude parue dans Nature Genetics. Adapter la prévention à la génétique Au-delà de l'intérêt de la connaissance, quel bénéfice peut-on tirer de cette découverte française ? Et surtout peut-elle contribuer à faire reculer l'épidémie d'obésité ? « Pour ceux qui sont déjà obèses, cela ne sert malheureusement à rien », commente le Dr Jean-Pierre Lamandé, médecin coordonnateur d'un réseau de prise en charge de l'obésité. En revanche, la carte génétique pourrait avoir un intérêt en matière de prévention. L'équipe du Pr Froguel est d'ailleurs déjà en train de mesurer l'intérêt d'un dépistage auprès de la population générale et des familles à risques. « La deuxième me paraît plus intéressante, subodore le Dr Meyre. Faire un dépistage génétique très tôt, dès l'âge de deux ans par exemple, peut être pertinent dans la mesure où l'obésité est très difficile à traiter une fois qu'elle est installée. » En fait, la prédisposition génétique permettrait d'adapter le traitement préventif. Des études ont, par exemple, mis en évidence que pour les personnes porteuses du gène FTO, la riposte la plus adaptée était la pratique intensive du sport. Pour le gène MC4R, c'est l'explication du mécanisme génétique qui permettrait de limiter le plus les pulsions alimentaires. Le profil génétique pourrait aussi aider à sélectionner les candidats à la chirurgie.
Toutes ces applications ne sont pour le moment que des hypothèses, à analyser avec précaution. « Le dépistage génétique me fait craindre une certaine forme de stigmatisation, lâche le Dr Jean-Michel Borys, endocrinologue et nutritionniste. Bientôt, dans les restaurants, on rentrera sa carte génétique dans un lecteur et vous aurez droit à un menu adapté à votre profil, » ironise-t-il. Le Dr Lamandé redoute, lui, un autre effet pervers : « Si on annonce à un patient une forte prédisposition génétique à l'obésité, j'ai peur qu'il se résigne. Il faut vraiment leur faire comprendre que les mesures préventives sont indispensables de toute façon. » Les chercheurs ne disent pas le contraire. Ils insistent sur le fait que les effets délétères de ces mutations génétiques ne s'expriment que dans certaines situations. Et le meilleur terreau, c'est la sédentarité et une alimentation déséquilibrée.
Questions à...Dr David Meyre, chercheur à l'Inserm "Un million de gènes sur un ticket de métro" Comment agissent les gènes responsables de l'obésité ? Dr David Meyre. L'immense majorité des gènes qu'on a trouvé, associés au risque d'obésité, contrôlent la prise alimentaire. Et ce par différents mécanismes, que ce soit la survie des neurones ou l'implication dans des voix moléculaires qui contrôlent la satiété. Les personnes à fort risque génétique ont des pulsions et une prise alimentaires nettement accrues. Il faut savoir que les sollicitations, notamment par la publicité, dépassent déjà de loin nos capacités de self control puisque c'est sous contrôle d'hormones. Tout cela se passe donc à notre insu. Par conséquent, si une personne mange plus, c'est probablement qu'elle a une biologie différente.
Quelle technique vous a permis d'identifier ces gènes ? Dr D.M. Nous avons pu établir cette carte génétique de l'obésité grâce à une nouvelle technique que sont les puces à ADN. Ce sont des plaques en silice de la taille d'un ticket de métro sur lesquelles on peut graver jusqu'à un million de mutations génétiques. Cette densité permet de couvrir tous les gènes et tous les chromosomes. Comment s'est passée la coordination avec les équipes étrangères? Dr D.M. Une étude d'une telle envergure, avec 17 000 sujets, était en effet inédite pour nous. Une trentaine de collaborateurs dans seize pays différents ont participé. Franchement, c'est assez lourd à piloter mais la recherche en génétique ne peut plus se passer de ces multiples collaborations. Tout simplement parce qu'il faut énormément de sujets pour confirmer l'effet des gènes. Entretien avec C.C.
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