La dysphorie de l'identité corporelle (BID), autrefois désignée sous le nom de trouble identitaire de l'intégrité corporelle (TIIC), est un trouble mental rare. Les personnes qui en souffrent se sentent terriblement mal à l’aise dans leur corps, comme si l’un de leurs membres sains n’était pas censé en faire partie. Le malaise est tel qu’il leur arrive de demander à se faire amputer du membre en question pour se sentir complètes. Selon un article paru dans la revue Current Biology le 7 mai, ce désir d’amputation pourrait être lié à des anomalies spécifiques dans la structure du cerveau.
Pour explorer les mécanismes cérébraux associés à la DIC, Gianluca Saetta, doctorant à l’université de Zurich, et Peter Brugger, de la Clinique universitaire psychiatrique (PUK) de Zurich (Suisse), ont recruté 16 hommes qui veulent se faire retirer leur jambe gauche saine et 16 témoins sains.
Les chercheurs ont ainsi découvert des altérations dans deux régions-clés associées au BID. Ainsi, le lobule paracentral droit (rPCL), qui abrite la représentation somatosensorielle primaire de la jambe gauche affectée, a montré une réduction de la connectivité fonctionnelle intrinsèque à d'autres parties du cerveau. Ils ont également observé une réduction de la connectivité fonctionnelle intrinsèque et une concentration réduite de matière grise dans le lobule pariétal supérieur droit (rSPL).
L’importance de la connectivité fonctionnelle et de la densité de matière grise
Ainsi, l’interaction entre les caractéristiques de la matière grise et la connectivité fonctionnelle de certaines régions pourrait être à l’origine du fait qu’une personne se sent chez elle dans son corps ou non.
“Le sentiment qu'un membre nous appartient dépend de la mesure dans laquelle la zone sensorimotrice du membre est fonctionnellement connectée à toutes les autres régions du cerveau”, explique Gianluca Saetta. Ici, les chercheurs ont donc constaté que la zone sensorimotrice de la jambe à retirer dans le cadre d’une BID était moins connectée aux autres parties du cerveau. “La connectivité fonctionnelle et la densité de la matière grise dans la zone la plus cruciale pour la représentation de l'apparence de notre corps — la région pariétale droite du cerveau — sont également des facteurs cruciaux dans cette sensation.”
“Il est intéressant de constater que moins il y a de matière grise dans la région pariétale droite du cerveau, plus le désir d'amputation est fort, et plus les personnes qui souffrent de BID agissent comme si elles étaient amputées, poursuit-il. Ce comportement de simulation les aide à faire face à l'inadéquation affligeante entre l'apparence qu'ils veulent donner à leur corps et la façon dont ils le voient.”
Des techniques de stimulations cérébrales pour traiter les malades ?
“Nous montrons des associations claires entre un état mental et des changements dans la structure et la fonctionnalité du cerveau, détaille quant à lui Peter Brugger. On ne sait pas si la signature neurale de la BID vient en premier et entrave le développement de la propriété normale des membres ou si des décennies d'inquiétude sur l'absence d'une telle propriété modulent les circuits cérébraux médiateurs de la conscience corporelle”, poursuit-il. Ainsi, il est difficile de dire si c’est la BID qui a entraîné un manque de connectivité fonctionnelle dans le cerveau de ces patients ou le contraire.
Ces résultats laissent penser que des techniques de stimulations cérébrales, comme la stimulation magnétique transcrânienne, pourraient aider les personnes souffrant de BID avancent les chercheurs, qui recommandent de plus amples études sur le sujet. Actuellement, de nombreuses variantes de la BID restent encore méconnues, notamment concernant les patients qui estiment qu’ils devraient être paraplégiques ou aveugles, rappellent les chercheurs.
Accepter la dysphorie de l'intégrité corporelle comme trouble mental officiel
Autre inconnue : le nombre de personnes souffrant de BID. En effet, il y a fort à parier que de nombreux malades n’aient jamais parlé de leurs symptômes à un médecin. C’est pourquoi les chercheurs militent pour que la “dysphorie de l’intégrité corporelle” soit incluse dans la 11e révision de la Classification internationale des maladies (CIM-11) comme “trouble de détresse ou d'expérience corporelle”. Une fois la maladie officiellement “acceptée comme un trouble, plus de gens feront un ‘coming out’ et s'identifieront comme souffrants”, espèrent les chercheurs, interrogés par le site News-Medical en marge de leur étude.
Les origines de la BID sont également incertaines. “La plupart des malades peuvent faire remonter leur dysphorie jusqu'à la petite enfance. Certains prétendent qu'il y a eu un certain événement déclencheur, par exemple être fasciné par l'observation d'une personne amputée, expliquent les scientifiques à News-Medical. Il est même possible qu'il y ait une composante innée, qui permet le développement physique normal d'un membre, mais qui entrave le développement d'une représentation corticale normale”, détaillent-ils.
Quoi qu’il en soit, pour les chercheurs, ce trouble est définitivement un mal du siècle. “L'identification avec ‘l'image sociale du corps’ est importante et se reflète dans le fait que la DIC est principalement une maladie de notre société occidentale, similaire à l'anorexie, qui est une dysphorie entièrement différente concernant l'expérience corporelle”. C’est pourquoi, Gianluca Saetta envisage prochainement de comparer des sujets atteints de BID avec des personnes insatisfaites de leur sexe ou anorexiques.