Contactée à maintes reprises sur le "traumatisme" qu'allait engendrer le confinement, Viviane Kovess-Masfety, psychiatre et épidémiologiste, s'amuse désormais de voir fleurir les articles montrant à quel point cette période a permis à certaines familles et certains couples de se retrouver.
Pour sa part, le déconfinement soulève de nombreuses questions quant au rapport de chacun à l'anxiété, dans le contexte dans lequel nous vivons. Incertitude, danger collectif… La chercheuse et professeure honoraire à l'université Paris-Descartes a accepté de répondre à nos questions sur les angoisses liées à la crise sanitaire.
Pourquoi docteur : Avec le Covid-19, on parle beaucoup de "contexte anxiogène". Qu'entend-on par là ?
Viviane Kovess-Masfety : D'abord, il faut bien distinguer l'anxiété normale de celle qui est pathologique. Être anxieux fait partie de l'expérience humaine naturelle et fonctionnelle, puisqu'il y a des situations dans lesquelles il vaut mieux être anxieux afin de réagir en conséquence. À l'origine, l'anxiété est un réflexe qui nous aide à nous défendre et à nous adapter. Par exemple, tout le monde est un peu anxieux à l'idée d'attraper le Covid-19, c'est normal. Ce qui est compliqué, c'est que la tolérance à l'anxiété est très différente selon les personnes. Beaucoup ont un seuil très élevé et la considèrent comme le sel de leur vie : elles aiment le stress, c'est ce qui leur donne l'impression de vivre.
À l'inverse, l'anxiété généralisée fait partie des diagnostics psychiatriques dont les critères évoluent très fréquemment. Ainsi, pour établir la limite entre l'anxiété de la vie et l'anxiété pathologique, on peut dire que la personne concernée est probablement dans l'incapacité de fonctionner. Si l'on n'arrive plus à vivre avec, on appelle cela une maladie. Ensuite, de manière générale, il ne faut pas croire que le fait qu'il y ait un problème extérieur 'aggrave' les gens ; il y en a même que cela 'améliore' car cela les décentre de leurs problèmes. Ils passent à autre chose.
Alors que la crise sanitaire est toujours d'actualité, la levée du confinement peut-elle être source d'anxiété ?
Ce qui est compliqué dans les mesures de distanciation, c'est qu'une partie de la population a intégré que, pour elle, attraper le virus n'est pas du tout dramatique. Ainsi, nous sommes dans une société où beaucoup se disent : 'pourquoi m'emmerder ?' et décident de vivre normalement. La difficulté, c'est le collectif : chaque personne qui rompt les gestes barrières augmente les risques de mourir d'une personne à l'autre bout de la chaîne.
C'est cette pensée qui peut être présente dans les angoisses. Au fond, c'est assez paradoxal. On vous dit : 'faites attention', et de l'autre côté : 'ce n'est pas si grave'. Résultat : soit vous prenez l'anxiété du groupe, qui dit : 'c'est dangereux', soit vous vous rangez derrière celle qui est individuelle, et qui dit : 'pas tellement'. Quelque part, cela fait peur de voir la police qui vérifie nos faits et gestes. On se dit que cela doit être grave.
De plus, en étant confrontées à ce virus collectif, beaucoup de personnes ont compris qu'il y a plein de choses que l'on ne sait pas. Cette question du rapport à la certitude joue aussi : je pense qu'il y a des gens pour qui il est très compliqué, et d'autres pour qui il l'est moins. Cette angoisse ressort par rapport au nouveau coronavirus : cela met le doigt dessus.
Comment surmonter à ses angoisses ?
Le déconfinement est une adaptation. Il a fallu s'adapter au confinement ; maintenant, il faut s'adapter au déconfinement. Quelqu'un qui n'a pas de trait pathologique préexistant peut s'adapter à l'un puis à l'autre, d'autant que la rupture n'est pas trop importante puisque l'on garde des règles mises en place lors du confinement. De même, chaque situation aura ses avantages et inconvénients en fonction de la vie de chacun : pour quelqu'un qui vit seul, le déconfinement peut-être plus avantageux que le confinement, par exemple.
Souvent, on s'adapte sans trop de difficultés. La première fois que l'on va dans un supermarché pendant le confinement, on n'est pas tranquille, on ne fait pas ses courses comme d'habitude. Avec les gants, les masques, la distanciation dans la queue, personne n'était très à l'aise. La quatrième fois, cela paraît presque normal. Puis, après deux mois de confinement, c'est devenu une routine : l'anxiété a diminué.
Je pense que le déconfinement donnera lieu au même phénomène. La première fois que quelqu'un prendra le métro à Paris, il sera surement tétanisé, à regarder partout que personne ne soit à coté, et que tout le monde ait son masque. Mais je pense que la 10ème fois devient une routine. L'anxiété est une réaction d'alerte, mais quand la situation s'est bien passée une dizaine de fois, vous n'êtes plus sur le qui-vive.
Face à la crainte d'attraper le Covid-19, quelles sont les clés pour lutter contre l'anxiété ?
De manière générale, les clés pour lutter contre l'anxiété sont la relaxation, respirer tranquillement, écouter de la musique et trouver une routine. Pour reprendre l'exemple du métro, cela peut se traduire par le fait d'être sur son téléphone et d'appliquer tous les gestes barrières qui nous rassurent un minimum. Aussi, il est important d'analyser quels sont les risques, puis de se dire qu'ils ne sont pas les mêmes tout le monde : le Covid-19 n'est pas la peste.
Ainsi, si quelqu'un en bonne santé doit aller travailler, il n'encourt pas un risque grave, d'autant qu'il faut garder en tête que des milliers de personnes sortent guéries des hôpitaux. Ce n'est pas pas comme s'il y avait une maladie mortelle dans l'air : le nouveau coronavirus est 'seulement' embêtant pour une grande partie de la population. Pour lutter contre ses angoisses, il faut avoir une maîtrise de soi et de ses émotions, prendre un peu de distance et réaliser que le pire qu'il puisse arriver dans le métro est de tomber malade. Il faut voir que le danger individuel n'est en fait pas très grand : c'est le danger collectif qui est problématique.
Qu'est-ce qui mettra un terme aux angoisses inhérentes à la crise sanitaire ?
C'est le vaccin. Il ne faut pas simplement qu'on le trouve, mais qu'on le produise, le distribue et l'injecte afin que tout le monde soit vacciné. Les experts estiment qu'il faudra un an pour que ce soit le cas ; cela dépend de si l'on trouve ce délai long ou pas. Mais, fondamentalement, je crois que la répétition tue l'angoisse : au début cela paraît une montagne, puis quand tout le monde est habitué, cela deviendra une nouvelle manière de vivre.
Ensuite, un jour, on aura le médicament ou le vaccin. Si l'on trouve un traitement qui évite le 'basculement' de la maladie qui mène les patients en réanimation, ce sera beaucoup moins angoissant de l'attraper. Si cela doit durer un an, je pense que tout le monde s'habituera. Avec cette nouvelle vie, on va même voir fleurir un nouvel accessoire de mode : le masque.
Ci-dessous, l'interview du Pr Boris Cyrulnik sur les effets du confinement :