- La déforestation amazonienne a augmenté de 85% en 2019
- Mettre à nu sa biodiversité pourrait libérer de nombreux virus
- 60% des maladies infectieuses actuelles sont zoologiques
La prochaine pandémie mondiale pourrait naître de la déforestation amazonienne. C'est en tout cas ce que redoutent plusieurs scientifiques, parmi lesquels David Lapola, écologiste à l'université de Campinas (Brésil).
“L'Amazonie est un énorme réservoir de virus”, a-t-il expliqué à l'AFP, alors que la déforestation du bassin amazonien s'est intensifiée depuis l'élection du président brésilien Jair Bolsonaro (+85% en 2019 avec la destruction de 10 123 km2). Selon l'Institut national de recherche spatiale du Brésil (INPE), qui suit la déforestation par images satellite, environ 1300 km2 de forêt ont été détruits entre janvier et avril 2020, l'équivalent de 1 800 terrains de football.
“Le plus grand réservoir de coronavirus du monde”
Si le chef d'Etat populiste, sceptique au changement climatique, estime que “le poumon de la Terre” est un frein au développement économique du Brésil et souhaite octroyer les terres indigènes protégées à l'exploitation minière et à l'agriculture, les écologistes, biologistes et épidémiologistes sont préoccupés par les conséquences sanitaires de la mise à nu de cette immense biodiversité et des potentiels réservoirs de virus et maladies qu'elle renferme.
Selon David Lapola, la forêt amazonienne pourrait devenir “le plus grand réservoir de coronavirus du monde”, faisant référence à tous les virus à couronne, et non pas seulement au Covid-19. Une raison suffisante “pour ne pas tenter notre chance”, estime-t-il, alors que nous traversons actuellement les méandres d'une pandémie mondiale justement liée à la transmission d'un virus animal à l'Homme.
60% des maladies infectieuses viennent des animaux
Selon l'Organisation mondiale de la santé animale (OIE), 60% des maladies infectieuses actuelles sont zoologiques, au moins 75% des agents pathogènes des maladies infectieuses humaines émergentes (notamment Ebola, la grippe et le VIH) sont d'origine animale, de même que 3 des 5 maladies humaines qui émergent chaque année. En 2014, une étude publiée dans la revue Science a remonté l'itinéraire du VIH de la forêt africaine, où il n'aurait fallu qu'un contact entre un singe malade et un être humain, à nos jours où nous comptons pas loin de 40 millions de morts dans le monde.
“Les maladies d’origine animale auxquelles l’homme est sensible telles que la grippe aviaire, la rage, la fièvre de la vallée du Rift (zoonose virale africaine, NDLR) ou encore la brucellose (anciennement appelée fièvre de Malte, NDLR) représentent des risques mondiaux de santé publique, alerte l'OIE. D’autres maladies à transmission essentiellement interhumaine circulent chez l’animal ou ont un réservoir animal identifié et peuvent causer de graves crises sanitaires comme l’a récemment démontré l’épidémie de la maladie à virus Ebola.”
Notre relation à la faune et la flore en cause
L'émergence “soudaine” de ces nouvelles maladies résulte-t-elle, comme certains le pensent et aiment à le revendiquer, d'un complot destiné à diminuer la population de la Terre pour instaurer un nouvel ordre mondial ? Ou tout simplement de la mondialisation, du changement climatique et plus globalement, des comportements humains ?
Une étude publiée récemment dans The Royal Society (l'une des plus anciennes revues scientifiques au monde), a démontré que la perturbation de l'équilibre environnemental comme la chasse, la déforestation, l'urbanisation, le commerce de la faune et la destruction des habitats des animaux, peut augmenter le risque de propagation d'un virus ou d'une maladie. Notamment parce que cela crée une trop grande promiscuité entre l'Homme et l'animal.
“La recrudescence de virus animaux est le résultat direct de nos actions impliquant la faune et ses habitats, précise Christine Kreuder Johnson, professeure d'épidémiologie et de santé des écosystèmes à l'UC Davis School of Veterinary Medicine (Etats-Unis) et auteure principale de l'étude. La conséquence est qu'ils partagent leurs virus avec nous.”
La prolifération des moustiques
La déforestation crée également des conditions optimales à la prolifération de moustiques vecteurs de maladies telles que le Zika, le paludisme, la dengue ou encore la fièvre jaune. En 2014, Le Monde relatait par exemple la forte émergence des cas de paludisme dans la région malaisienne de Bornéo, suite à la déforestation massive opérée pour satisfaire la demande mondiale d'huile de palme (-14 % de forêt entre 2000 et 2012).
La destruction des surfaces forestières, le changement climatique, le transport et l'élevage intensif favorisent en effet “l’émergence géographique d’anciens virus” transmis par les moustiques, alertait déjà en 2011 l'Institut Pasteur. “Ce risque touche aujourd’hui la France où les premiers cas de dengue et de Chikungunya acquis sur le territoire ont été recensés à la fin de l’été 2010”. Dès lors, plutôt que de modifier nos comportements, nous allouons des budgets à la recherche pour éradiquer ces moustiques que nous avons nous-mêmes poussés à migrer en masse : Bill Gates investit par exemple 4 millions de dollars pour créer des moustiques génétiquement modifiés et l'ONU veut stériliser les mâles.
David Lapola, qui appelle à la prudence, estime qu'il ne faut pas “utiliser l'Amazonie de manière irrationnelle, comme nous le faisons actuellement” et qu'il est essentiel de réinventer “la relation entre notre société et la forêt tropicale”. Sera-t-il écouté ?