La vague pandémique mondiale continue d’inonder de patients infectés du Covid-19 les hôpitaux aux quatre coins de la planète. Une réalité qui a conduit les pays à adapter leur organisation hospitalière, qui se traduit en France par le plan blanc qui préconise le report de toutes les opérations chirurgicales non urgentes. Des chercheurs de l’université de Birmingham (Royaume-Uni) se sont fixés pour objectif de comptabiliser le nombre exact d'opérations chirurgicales annulées pendant 12 semaines dans plus de 190 pays. Les résultats de ce projet, intitulé COVIDSurg, ont été publiés dans la revue British Journal of Surgery.
90,2% des opérations annulées sont bénignes
Un questionnaire a été transmis aux chirurgiens à travers le monde, par le biais du réseau mondial CovidSurg afin qu’ils estiment le nombre d’interventions chirurgicales non urgente annulées dans leur hôpital à cause du Covid-19. Pour ceux exerçant dans des régions où la pandémie a été éteinte, ils devaient faire état des taux réels d'annulations d'opérations chirurgicales. Pour ceux qui pratiquent dans des zones où la pandémie était toujours en cours, ils faisaient des projections sur les taux d'annulation probables. Si leur hôpital n'avait pas encore connu de flambée de SARS-CoV-2, il leur était demandé d'estimer ce qui se passerait en cas d’épidémie. Au total, il y a eu 538 contributions au questionnaire depuis 359 hôpitaux répartis dans 71 pays. Ces données ont été complétées par d'autres modèles statistiques permettant d'établir les proportions d'opérations dans un total de 193 pays : tous les membres des Nations unies, à l'exception du Liechtenstein, de la Corée du Nord et de la Somalie, où aucune donnée sur le volume des opérations chirurgicales n’est disponible.
La collecte de ces données a permis aux chercheurs d’estimer le nombre d’opérations chirurgicales annulées pendant la période de douze semaines à 28 404 603, soit 72,3% des interventions prévues pendant cette période. Parmi elles, l’écrasante majorité (90,2%) est constituée d’opérations bénignes. Le reste des opérations concerne les cancers (8,2%) et les interventions obstétriques (1,6 %) qui visent les accouchements par césarienne qui pouvaient être remplacés par des accouchements par voie naturelle. Dans le détail, ce sont 2 367 050 opérations hebdomadaires qui sont annulées à travers le monde. Le Brésil est le pays qui concentre le plus de reports d’interventions hebdomadaires (247 444), suivi de la Chine (326 177), de la Colombie (113 082), du Japon (113 324) et des États-Unis (343 670). En France, ce sont 58 708 opérations non-urgentes qui sont annulées chaque semaine.
Le report des opérations peut avoir des conséquences graves
Dans un second temps, les chercheurs ont tenté de modéliser le temps nécessaire pour rattraper le retard sur toutes ces opérations. Leur première conclusion est qu’il est impossible de les rattraper en 12 semaines. “Chaque semaine supplémentaire de perturbation des services hospitaliers entraîne l'annulation de 43 300 opérations en plus, avance le docteur Dmitri Nepogodiev, chercheur à l'unité de recherche en santé mondiale à l'université de Birmingham. Il est donc important que les hôpitaux évaluent régulièrement la situation afin que les opérations électives puissent reprendre le plus rapidement possible.” Le temps nécessaire pour réaliser ces interventions, à l’exception des opérations obstétriques qui n’auront pas besoin d'être reprogrammées, dépend de l’augmentation du volume chirurgical de base. Si ce dernier augmente de 10%, les chercheurs projettent entre 86 et 95 semaines pour effectuer toutes les opérations reportées. Si le volume augmente de 20%, il faudrait alors entre 43 et 48 semaines. Avec une augmentation de 30%, entre 29 et 32 semaines seraient nécessaires pour rattraper le retard.
Concernant la reprise des opérations, un rapport de coût/bénéfice en fonction de la santé du patient devra être réalisé par les chirurgiens et ce report pourrait avoir des conséquences désastreuses pour certains patients. “Le report d'opérations électives sensibles au facteur temps, comme la chirurgie du cancer ou la transplantation, peut entraîner une détérioration de la santé, une dégradation de la qualité de vie et des décès évitables. Lorsque les hôpitaux reprennent des activités non urgentes, les patients sont susceptibles d'être traités en priorité en raison de l'urgence clinique, ce qui allonge les délais pour les patients atteints de maladies bénignes mais potentiellement invalidantes, pour lesquelles les répercussions du temps peuvent être moins perçues. Cela entraînera une détérioration de la santé de la population, de la productivité et un coût sociétal important”, insistent les chercheurs. “Bien qu'essentielles, les annulations représentent un lourd fardeau pour les patients et la société. L'état des patients peut se détériorer et leur qualité de vie se dégrade lorsqu'ils attendent une nouvelle intervention chirurgicale. Dans certains cas, par exemple le cancer, les opérations reportées peuvent entraîner un certain nombre de décès qui auraient pu être évités”, conclut Aneel Banghu.