Le déconfinement de l'école, c'est avant tout de la débrouille. Paul*, le prénom a été changé, 32 ans, s'est porté volontaire pour enseigner en présentiel dans son école élémentaire de Saint-Ouen (93), en région parisienne. "Je me suis dit que c'était important pour les enfants de ne pas terminer cette année scolaire avec une impression d'inachevée, assure-t-il. Cela permettra de démarrer sereinement une nouvelle année en septembre avec de nouveaux camarades et un nouveau professeur" Pourtant depuis le 11 mai, si l'école a repris, elle a bien changé.
Sur l'équipe pédagogique, la directrice n'a pas repris son poste tout comme la moitié des enseignants. Les six professeurs volontaires se sont alors concertés pour décider du fonctionnement de l'école. "Rien n'était prêt lorsque nous nous sommes retournés à l'école à la pré-rentrée, regrette-il. Nous avons dû nous-même nous organiser : baliser le sens de circulation dans l'établissement avec du ruban adhésif, coller les affiches notamment pour bien se laver les mains dans les toilettes, et espacer les tables à 1m de distance dans les salles de classe." Comme la mairie de Saint-Ouen a limité le nombre d'enfants par classe à 10, les professeurs n'accueillent que 60 élèves sur les 221 inscrits. "Sur mes 19 élèves en CE1, 14 restent en école à distance sur demande des parents, 2 ont demandé à revenir mais n'ont pas pu faute de place et 5 ont pu obtenir une place" explique Paul.
École et élèves métamorphosés
"On est maintenant rodé aux mesures de sécurité", affirme Paul. Depuis la réouverture de l'établissement, les parents déposent leurs enfants selon l'horaire dévolu à son groupe. De la même façon les sorties de classe se font les unes après les autres tout comme les récréations afin que les élèves de différentes classes ne se croisent pas. Mais le rituel le plus prégnant est le lavage "minutieux" des mains avant et après chaque activité. "Ils se lavent les mains à leur arrivée à l'école, puis avant et après la récréation, le déjeuner et à la sortie des classes, explique Paul. Certains se plaignent d'avoir les mains irritées." Pourtant aucun élève ne semble vouloir esquiver cette mesure d'hygiène. "L'école, les copains et les enseignants leurs ont manqué durant le confinement, rapporte Paul. Ils savent que s'ils ne respectent pas bien les règles, et qu'ils mettent en danger les autres, ils ne pourront plus revenir." Pourtant ces mesures sanitaires pèsent sur la récréation. Les élèves sont séparés d'une part et autre de la cour et ne peuvent pas se rapprocher à moins d'1 mètre des uns et des autres. "C'est frustrant pour eux, surtout de ne pas pouvoir jouer avec des ballons. Ça nous a fait mal au cœur de les voir s'ennuyer alors on a lâché un peu de leste, admet-t-il. Maintenant ils peuvent jouer à la corde à sauter du moment qu'ils restent bien éloignés des uns et des autres."
Le bonheur de revoir ses camardes ne nuit pas à l'enseignement. "Dans ma classe j'ai un garçon réputé comme difficile et là il est 'sympa' ces derniers temps et il travaille vraiment bien." Pourtant l'enseignement a radicalement changé de visage dans cette école. Tous les groupes mélangent les niveaux ce qui poussent les professeurs à l'entraide. "Au début ça me stressait, mais comme chaque enseignant envoie ses documents de travail au professeur en présentiel cela facilite la tâche. Ensuite gérer plusieurs niveaux rend les journées très intenses mais plutôt agréable en fin de compte, reconnaît-il. Pourquoi pas demander un niveau mélangé l'année prochaine mais le plus agréable c'est de ne travailler qu'avec 10 élèves." Cependant si le port du masque pour les élèves est facultatif, Paul doit le porter toute la journée. "Ça m'ennuie, lâche-t-il. Enseigner c'est interagir voir même faire un peu de théâtre devant les enfants - en faisant de grands gestes ou en mimant des expressions. Mais là avec la figure à moitié étouffée par le masque je trouve que cela entrave la pratique."
Surplus de travail et brouillard
Des efforts pour respecter les consignes sanitaires.. qui ne semblent pourtant pas suivis par l'équipe municipale. "C'est sûrement l'absence de la directrice qui rend la communication compliquée avec le service d'animation municipal, suppose Paul. On est surpris de voir qu'alors que l'on fait tout pour éviter le brassage des élèves, les animateurs les réunissent tous pour le déjeuner ou après l'école. Il aurait fallu penser autrement ces moments-là. On a fait remonter ce problème mais rien ne bouge."
Or en plus du temps qu'il passe auprès des écoliers, il doit également continuer à assurer les cours à distance avec ses autres élèves restés auprès de leurs parents. "Nous avons beaucoup de liberté dans notre façon de gérer notre classe à distance. Personnellement j'envoie les dimanches et mercredis les exercices pour les deux jours suivants, explique-t-il. Si l'élève ne comprend pas quelque chose il peut me téléphoner les lundis et mardis - jours où je ne suis pas en présentiel à l'école. Ils m'envoient leurs devoirs par scan ou en photographiant avec un téléphone, puis j'envoie des corrections collectives le mardi et vendredi soir." Un processus qui lui prend du temps puisqu'il scanne et met en page les exercices qu'il envoie aux familles et qu'il prend soin d'écrire en détail le raisonnement permettant de donner la bonne réponse. "Dans mon secteur certaines familles ne maîtrisent pas forcément bien la langue pour aider leurs enfants à faire leurs devoirs mais certains me disent être contents de notre façon de procéder même si les enfants ne reviennent en classe que quelques jours par semaine, expose Paul. Pourtant avec des collègues on se demande s'ils ne regrettent pas qu'on ait moins de professeurs volontaires que dans d'autres écoles de Saint-Ouen ce qui limite le nombre d'élèves accueillis."
Sur ses 19 élèves, un seul a manqué à l'appel durant le premier mois du confinement. Malgré ce bon suivi des écoliers, l'avenir semble incertain pour Paul. Il se demande si les mesures sanitaires resteront aussi strictes tout le mois de juin ou s'ils devront accueillir plus d'élèves sans réellement savoir comment faire. Pour lui, il est nécessaire de mettre fin aux classes à distance. "Notre directrice nous dit 'faire des exercices c'est une chose mais ce qui importe pour les enfants c'est le contact humain, interagir avec les autres enfants et les adultes' or ça on le perd, se désole-t-il. Je n'ai plus les questions des enfants sur 'comment c'était avant ?' et 'pourquoi ça a changé ?', or c'est comme cela que l'on grandit."