Le cancer du sein est le cancer le plus fréquent chez les femmes dans le monde et représente 16% de l'ensemble des cancers féminins. D’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS), il aurait tué 519 000 le nombre de femmes à échelle mondiale en 2004. A l’occasion du congrès international d’oncologie de l’ASCO, qui s’est cette année virtuellement tenu du 29 au 31 mai, le professeur Gilles Freyer a fait le point avec Pourquoi docteur sur les avancées en matière de cancer du sein.
Opération ou irradiation pour les tumeurs d’emblée métastatiques
“Je ne sais pas pour l’opération, leur faire de la radiothérapie exclusive c’est possible mais ce n’est probablement pas le traitement le plus optimal, explique Gilles Freyer au docteur Jean-François Lemoine. Quand on les opère, il faut le faire avec un objectif d’ambition en matière de survie. L’idée n’est pas seulement d’empêcher l’évolution locale mais aussi d’apporter quelque chose à la patiente. Donc si on le fait autant le faire de manière assez standard : c’est-à-dire faire de la chirurgie et de la chimiothérapie en complément si besoin”. Il cite notamment une vaste étude américaine sur le sujet, présentée à l’ASCO 2020 aux résultats décevants.
“Après quatre à huit mois de traitement systémique, l’étude est négative. (…) Ils attendaient une augmentation de survie globale de 19% en faveur de la chirurgie, ce qui était à mon sens irréalisable puisque c’est plus que la chimiothérapie et le trastuzumab (anticorps monoclonal) et les anti-HER2 (thérapie ciblée) réunis”. En conclusion, “ces questions de chirurgie se posent au cas par cas, en fonction de biologie tumorale, de la motivation de la patiente et du contrôle qu’on a sur les métastases”, estime l’oncologue.
Les biomarqueurs
“En métastatique, il y a deux grandes orientations concernant les biomarqueurs. La première c'est d'aller regarder ce qui prédit l’efficacité de l’immunothérapie. On commence à regarder un petit peu du côté de la charge mutationnelle, c’est-à-dire la quantité d’antigènes un peu anormaux (..) L’autre marqueur classique, le PDN1, qui dans beaucoup de situations prédit plus ou moins l’efficacité de l’immunothérapie. Pour l'heure, ce marqueur n’est pas tout à fait concluant en cancérologie mammaire, explique Gilles Freyer. L’autre élément, c’est d’aller regarder un peu plus finement les anomalies de la réparation de l’ADN qui sont à l’origine de la prédisposition familiale au cancer du sein et de l’ovaire (…) et qu’on essaie de cibler en donnant des inhibiteurs de PARP et des chimiothérapies à base de platine”, poursuit-il. L’idée est donc là ne plus seulement s’intéresser aux pas seulement les gènes BRCA. Selon plusieurs études, au cours de sa vie, une femme a un risque de développer un cancer du sein de 51 à 75% si elle est porteuse d’une mutation BRCA1 et de 33 à 55 % si elle est porteuse d’une mutation BRCA2. Ces résultats sont toutefois variables d’une famille à l’autre.
“S’agissant des signatures moléculaires, on est plutôt chez des patientes qui ont été opérées et qui ont des pronostics intermédiaires, ni très bons, ni très à risques, où le rapport efficacité/tolérance est crucial”. A partir de deux vastes études réalisées sur le sujet, le spécialiste conclut : “Incontestablement, les signatures moléculaires permettent de ne pas faire de chimiothérapies dans de bonnes conditions de sécurité à un certain nombre de patientes, mais celles qui vont clairement en bénéficier ne sont pas si nombreuses. On a fait des efforts colossaux pour réaliser de grands essais cliniques et je me demande si la montagne n’a pas accouché d’une souris.”
Pour l’oncologue, les signatures moléculaires sont utiles dans le cas des cancers métastatiques mais pas forcément des autres. Dans la maladie métastatique, “la stratégie est d’aller regarder des mutations génétiques dans les cellules cancéreuses et dans lesquelles on va pouvoir faire agir des thérapies ciblées”, explique-t-il. Les oncologues se demandent alors : “Comment est-ce qu’un médicament qui agit sur une mutation que l’on va trouver dans le mélanome malin pourrait aussi rendre service si on retrouve la même mutation génomique dans un cancer du sein ou du côlon ?”. “Dans ce cas, c’est une stratégie qui améliore incontestablement la situation chez un certain nombre de patients”, tranche-t-il.
En revanche, pour les patientes déjà opérées de la maladie en situation adjuvante sans métastase et où le médecin s’interroge sur le risque de rechute, cette stratégie se révèle moins concluante. “L’idée c’est d’affiner les estimations pour ne pas faire la chimio quand son efficacité est éventuellement médiocre. Tout l’enjeu des signatures moléculaires est d’aller regarder le profil génétique des tumeurs qui sont à plus hauts risques mais aussi des profils génétiques qui prédisent l’efficacité de la chimiothérapie et, hélas, ce ne sont pas exactement les mêmes. Vous devez composer en permanence entre le pronostic (quel est le risque lié à la maladie ?) et la prédiction : (quelle est l’efficacité de mon traitement ?)”, explique Gilles Freyer.
L’immunothérapie
L’immunothérapie “a suscité d’énormes espoirs, surtout dans les cancers triple négatifs, qui sont quand même aujourd’hui en partie retombés, avance l’oncologue. La principale étude qui avait associé la chimiothérapie et l’immunothérapie dans le cancer du sein triple négatif métastatique avait donné des espoirs mais en raison, entre autres, des difficultés d’interprétation, il n’y a pas eu d’autorisation de mise sur le marché en France du médicament correspondant”, rappelle-t-il.
Qui plus est, “quand on compare une énième chimio à une immunothérapie donnée seule et non pas en combinaison, l’immunothérapie en question ne fait pas mieux”. Concernant “la situation néo-adjuvante pour les tumeurs triples négatives qui n’expriment pas les récepteurs aux hormones ni la protéine HER2, ce médicament n’est pas disponible en France.” En conclusion, pour l’heure, “l’immunothérapie ne concerne que les 15% de malades du cancer du sein atteintes d’un triple négatif en attente d’une révolution qui soit comparable à celle du cancer bronchique, du rein ou du mélanome malin, par exemple.”
Les tumeurs HER2 positives
Ces tumeurs concernent environ 13% des malades du cancer du sein. “Ce sont celles qui ont le plus bénéficié des avancées positives ces 25 dernières années en situation métastatique”, se félicite le scientifique.
Le PET Scan
Pour Gilles Freyer, le PET Scan est utile “quand on a une situation néo-adjuvante qui va conduire à un traitement chez une malade qui a une tumeur en place pour essayer de l’opérer dans les meilleures conditions, d’abord en faisant réduire le volume de la tumeur, pour conserver le sein”. “Au fur et à mesure des années, nous avons réalisé que pour certains types de tumeurs, en particulier les HER2 négatives, non seulement on va aider la patiente à conserver son sein mais surtout on va disposer d’un modèle pour apprécier l’évolution de la tumeur et donc l’efficacité de ce que nous faisons quand la patiente est sous traitement médical”, poursuit-il.
“Alors que si vous donnez un traitement après l’opération, c’est un traitement aveugle (…) Or, si je traite en situation néo-adjuvante et que je vois fondre la tumeur au PET Scan, je me dis que la patiente a d’autant plus de chances d’avoir une réponse complète, ça laisse prévoir de grandes chances de guérison. Sinon, on lui proposera un autre traitement après l’opération”, explique le cancérologue.
Ainsi, le PET Scan “est probablement un moyen assez précoce de savoir si, dès le début du traitement, celui-ci est efficace et le sera de plus en plus au fil du temps. L’idée est de pouvoir faire de l’adaptation thérapeutique en temps réel dans le futur, de façon à ce qu’au moment de l’opération on ait un niveau maximal de chances de ne plus trouver de tumeur dans son sein, et donc de la guérir.”
Ci-dessous, l'interview du professeur Gilles Freyer par le docteur Jean-François Lemoine :