La psychiatrie, grande oubliée de la pandémie. Lors du confinement, la fréquentation des urgences psychiatriques en région parisienne a chuté de 50%. Les malades, qui se sont rendus à l’hôpital ont vu les services désorganisés. Parmi ces derniers, les services d'électroconvulsivothérapie (ECT) ou sismothérapie, plus connus sous le nom d’électrochocs. En Flandre, 70% des unités ont dû interrompre ces soins car les produits anesthésiants étaient réquisitionnés ailleurs. Faisons le point sur cette pratique thérapeutique qui, malgré son évolution, continue à souffrir d’une très mauvaise réputation.
Comment est née l’électrothérapie ?
Avant le 20e siècle, les médecins ne possèdent que très peu de médicaments pour soigner les pathologies mentales. Les substances existantes (l’opium, le chloral, les barbituriques, le bromure) sont toxiques et inefficaces. Au début des années 1930, convaincu qu’un épileptique ne peut pas être schizophrène et inversement, le psychiatre hongrois Ladislas Joseph von Méduna a l’idée d’engendrer artificiellement des crises d’épilepsie chez les schizophrènes par le biais d'injections de pentylènetétrazole. En 1938, le psychiatre et neurologue italien Ugo Cerletti et son collègue Lucio Bini observent l’attitude de porcs qui, avant d’être tués, sont électrisés afin d’être plus calme. Ils décident alors d’expérimenter cette technique sur des chiens, puis des hommes, et reprennent l’idée du pentylènetétrazole avant de le remplacer par le choc électrique. Le 15 avril 1938, l’hôpital psychiatrique de Rome (Italie) applique le premier électrochoc à un patient schizophrène souffrant d’hallucinations, sans son accord. Après le deuxième essai, le malade supplie qu’on arrête.
Malgré tout, les médecins, enthousiasmés par les bons résultats statistiques de cette pratique, se mettent à utiliser cette thérapeutique à tout bout de champ, quitte parfois à en abuser, notamment dans le traitement les troubles du comportement. La pop culture s'empare alors du sujet et des films comme Vol au-dessus d’un nid de coucou ou Requiem pour un Dream donne au grand public une vision barbare et traumatisante du sujet. Néanmoins, avec l’arrivée de nouvelles molécules, les médecins se désintéressent peu à peu de cette pratique de plus en plus controversée. Elle revient sur le devant de la scène depuis quelques années seulement.
Comment se déroule une séance à l'heure actuelle ?
Au fil des années, le concept est resté le même. “Les électrochocs envoient un courant électrique dans le cerveau pour provoquer une crise d'épilepsie. Cette décharge permet de stimuler les neurones qui sont forcés à établir de nouvelles connexions et améliorer certains symptômes et maladies psychiatriques”, explique la docteure Claire Lewandowski à Pourquoi docteur. Toutefois, la pratique a énormément évolué ces dernières années.
“Dans l’imaginaire collectif, on a encore les images véhiculées par le film Vol au-dessus d’un nid de coucou, où les électrochocs sont pratiqués sans anesthésie, de façon extrêmement barbare. Aujourd’hui, cela se pratique sous anesthésie de très courte durée, accompagnée d’une curarisation, ce qui écarte tout risque de fracture et de douleur lorsqu’on provoque la crise convulsive. Une circulaire a, en 1995, encadré officiellement l’électroconvulsivothérapie et ses différents protocoles”, déclare le professeur Pierre-Michel Llorca, chef de service en psychiatrie au CHU de Clermont-Ferrand, dans une entrevue à Pourquoi docteur.
Ainsi, les électrochocs sont désormais pratiqués sous anesthésie générale — et donc sans douleur — avec une injection de curare pour éviter les tremblements des muscles du patient dont l’accord, ou celui de la famille, est obligatoire. Une fois le patient endormi, le psychiatre place plusieurs électrodes sur sa tête pour mesurer l’activité de son cerveau pendant la crise. La décharge électrique ne dure qu’une à deux minutes. L’anesthésie levée, le patient mettra environ une heure pour se réveiller. Il pourra ensuite souffrir de nausées ou de pertes de mémoire, mais à court terme seulement.
“Il est notamment possible d’avoir des pertes de mémoire, mais elles ne concernent pas tous les patients, sont réversibles et de courte durée dans la majorité des cas. Ce traitement n’engendre pas de ‘pertes cérébrales’”, explique Pierre-Michel Llorca.
Quel intérêt et pour qui ?
Les antidépresseurs ne fonctionnent pas pour un patient sur cinq. Récemment, plusieurs études ont montré que l’ECT était plus efficace, avec un taux de réponse de 80 à 90% lors d’épisodes dépressifs majeurs. Il y a quelques années, une méta-analyse incluant 1 114 patients concluait : “L'ECT est un traitement efficace à court terme de la dépression, et est probablement plus efficace que la pharmacothérapie.”
“Lorsqu'une dépression est résistante aux médicaments ou lorsqu'une réponse thérapeutique rapide est nécessaire — lorsque le ou la patiente est en danger à cause du risque suicidaire, de la dénutrition ou la déshydratation — l'ECT est indiquée”, explique le médecin psychiatre Clément Guillet dans un article paru sur Slate. D’après lui, la sismothérapie est également efficace chez les personnes catatoniques. “Là où le patient présente une immobilité motrice, un état de stupeur qui entraîne très vite une altération de l'état général. Avec l'électroconvulsivothérapie, le taux de réponses positives est de 85%”, développe-t-il. Chez les personnes maniaques, “une revue de la littérature concernant 589 personnes montre que 80% bénéficient d'une rémission ou d'une très nette amélioration, plus efficace que les régulateurs d'humeur comme le lithium”. Enfin, chez les schizophrènes, le spécialiste conseille d’associer “la sismothéapie au traitement classique par antipsychotiques dans mon service”.
“La mauvaise réputation des électrochocs peut encore faire hésiter de nombreux malades. Pourtant, cette pratique efficace jusqu’à 80% des cas de dépression est maintenant pratiquée de façon sécurisée, toujours dans l’intérêt du patient”, conclut la docteure Claire Lewandowski.