La solitude est mauvaise pour la santé. Ces dernières années, les études soulignant ses effets néfastes pour les individus et la société se sont multipliées. Il y a un an, des recherches menées sur 20 503 adultes, âgés de 16 à 74 ans, vivant en Angleterre, avaient notamment montré que le fait de vivre seul augmentait l’incidence des dépressions ou des troubles alimentaires ou anxieux. Aujourd’hui, une nouvelle étude internationale d’une ampleur inédite est parue sur le sentiment de solitude, défini tel que “l’écart entre les relations sociales réelles et souhaitées”. D’après les résultats parus dans la revue Personality and Individual Differences, contrairement à quoi on pourrait s’attendre, la solitude atteindrait plus les jeunes que les personnes plus âgées. Les gens vivant dans des pays aux sociétés individualistes auraient également plus tendance à en souffrir. Enfin, en matière du genre, les hommes sembleraient plus affectés que les femmes.
Selon la définition des chercheurs, deux personnes qui ont le même nombre de relations sociales peuvent vivre la solitude différemment dans le cas où l’une désirerait davantage de relations sociales que l’autre. Pour leurs travaux, ils se sont appuyés sur un ensemble de données collectées par la British Broadcasting Corporation (BBC) dans le cadre de sa “Loneliness Experiment”. Ces dernières contiennent des informations sur près de 55 000 personnes âgées de 16 à 99 ans vivant dans 237 pays, îles et territoires. Après analyse, les scientifiques se sont intéressés à 46 054 personnes à qui ils ont posé diverses questions sur la solitude telles que “Ressentez-vous un manque de camaraderie ?”, “Vous sentez-vous exclu ?”, “Vous sentez-vous isolé des autres ?”, ou encore “Vous sentez-vous en phase avec les gens qui vous entourent ?”. Les participants devaient alors répondre sur une échelle de un (jamais) à cinq (toujours).
La sensation de solitude diminue avec l'âge
Les chercheurs ont alors constaté que, dans l’ensemble, l’interaction de l’âge, du sexe et du milieu culturel prédisait la solitude. Ils ont notamment constaté que cette dernière était plus présente chez les jeunes et avaient tendance à diminuer avec l’âge.
“Contrairement à ce que les gens peuvent attendre, la solitude n'est pas une situation difficile propre aux personnes âgées. En fait, les jeunes se sentent plus seuls. Comme la solitude découle du sentiment que les liens sociaux d'une personne ne sont pas aussi bons que souhaités, cela pourrait être dû aux attentes différentes des jeunes et des personnes âgées. Le modèle d'âge que nous avons découvert semble se maintenir dans de nombreux pays et cultures”, commente le professeur Manuela Barreto de l'université d'Exeter (Royaume-Uni), premier auteur de l'étude.
Toutefois, si les personnes âgées semblent moins ressentir la solitude que les jeunes, il s’agit toutefois de rappeler qu’il a été démontré à de nombreuses reprises qu'elle pouvait être très dangereuse chez les seniors. En 2014, il avait notamment été prouvé que le sentiment de solitude est associé à une augmentation de 14% de la mortalité prématurée chez les personnes âgées, soit deux fois plus que l’obésité et presque autant que le fait d’avoir des conditions socio-économiques défavorables.
“Les hommes signalent parfois plus de solitude que les femmes”
Dans la présente étude, outre la différence en fonction des âges, les chercheurs ont également remarqué que le sentiment de solitude était plus présent chez les personnes vivant dans des sociétés individualistes. Qui plus est, face à ce sentiment, les hommes semblaient plus vulnérables que les femmes. Néanmoins, il se peut que ce soit car ils se sont plus épanchés sur le sujet, les auteurs de l’étude les ayant poussés à exprimer leurs émotions autant que possible.
“En ce qui concerne le genre, les preuves existantes sont mitigées. On est conscient que le fait d'admettre se sentir ‘seul’ peut être particulièrement stigmatisant pour les hommes. Cependant, lorsque ce mot n'est pas utilisé dans les mesures, les hommes signalent parfois plus de solitude que les femmes. C'est effectivement ce que nous avons constaté”, déclare la professeure Pamela Qualter, de l'Université de Manchester, (Royaume-Uni), et co-autrice de l'étude.
Cette dernière présente quelques limites, admettent ainsi les chercheurs, les effets des variables identifiés étant relativement faibles. Quoi qu’il en soit, l’ampleur et la diversité de la recherche les conduisent à penser que “ces effets sont réels et que la solitude est une expérience assez universelle dans toutes les catégories démographiques.”
En conclusion, ces résultats pourraient avoir des implications pour les jeunes qui vivent la pandémie de coronavirus. “S'il est vrai que les jeunes sont mieux à même d'utiliser la technologie pour accéder aux relations sociales, on sait aussi que lorsque cela se fait en remplacement — plutôt qu'en extension — de ces relations, cela n'atténue pas la solitude”, analyse le professeur Barreto.
En France, la solitude reste un tabou
Au contraire, il a déjà été prouvé que les réseaux sociaux avaient tendance à développer le sentiment de solitude. En 2018, une étude menée sur des étudiants et parue dans le Journal of Social and Clinical Psychology avait montré que réduire son utilisation quotidienne des réseaux sociaux entraînait une diminution significative des dépressions et du sentiment de solitude. Ces effets étaient particulièrement prononcés chez les personnes qui étaient les plus déprimées au début de l’expérience.
En France, 8 personnes sur 10 considèrent la solitude comme un problème important, d’après une étude BVA réalisée à l’occasion de la Journée des solitudes en 2019. Pour 6 Français sur 10, il s’agit d’une expérience familière, tandis que 4 personnes interrogées sur 10 en ont fait l’expérience personnelle. Là encore, les jeunes semblaient particulièrement touchés puisque 60% disaient en souffrir. Malgré tout, la solitude reste un tabou dans notre société puisque les trois quarts des personnes concernées disent avoir du mal à en parler. Pour la majorité d’entre elles, la solitude correspond à une rupture personnelle à travers le décès d’un conjoint ou d’un proche (58%), un divorce ou une séparation (42%), le vieillissement (43%) ou des problèmes de santé (21%).