L’objectif est de protéger les mineurs. Dans la nuit du mardi 9 au mercredi 10 juin, le Sénat a adopté un amendement proposant un contrôle de l’âge des internautes aux éditeurs de sites pornographiques. Celui-ci a été porté par la sénatrice Les Républicains Marie Mercier et fait partie de la proposition de la loi LREM pour mieux “protéger les victimes de violences conjugales”. Cette dernière a d’ailleurs été adoptée à l’unanimité en première lecture, après l’Assemblée nationale. “En principe, l'article 227-24 du Code pénal permet de sanctionner les sites qui diffusent des images pornographiques susceptibles d'être vues par un mineur”. La peine encourue est de trois ans de prison et 75 000€ d’amende.
Afin que la justice puisse atteindre l’éditeur de sites pornographiques, “souvent basés dans des paradis fiscaux qui ne coopèrent pas avec la France”, le texte propose de permettre au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) de leur adresser une injonction afin qu’ils se mettent en conformité avec la loi. L’éditeur aura ensuite 15 jours pour le faire. S'il refuse, le CSA pourra alors “saisir le président du tribunal judiciaire de Paris afin qu'il ordonne aux opérateurs de rendre impossible l'accès à ces sites, qui ne pourraient donc plus être consultés depuis la France.”
Pour identifier l’âge des internautes, l’amendement avance plusieurs outils comme FranceConnect, utilisé notamment par les impôts et la Sécurité sociale. Ce dernier permet d'accéder à plusieurs services avec un compte unique. L’utilisation d’une carte bleue réservée aux plus de 16 ans est également une option avancée. “Ce dispositif s'inspire de celui mis en place pour lutter contre les cercles de jeu en ligne illégaux, qui repose sur le contrôle exercé par l'Autorité de régulation des jeux en ligne”, est-il précisé.
La sexualité des jeunes conditionnée et formatée par le porno ?
Cette proposition de loi a été adoptée alors qu’en 2018, une vaste enquête Ipsos montrait qu’en France, 21% des 14-24 ans regardaient des vidéos pornographiques au moins une fois par semaine. Très inquiets des résultats de ce sondage, des membres du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (Cngof) avaient alors lancé un appel au gouvernement pour protéger les plus jeunes face à la pornographie.
Aujourd’hui, l’amendement devrait fortement plaire à Thérès Hargot, sexologue, conférencière et formatrice en vie affective et autrice de Qu'est-ce qui pourrait sauver l'amour ? (Albin Michel), qui, dans une interview pour Marianne parue le 10 juin, déplore que le “sexe soit devenu un produit de consommation comme un autre”. La spécialiste regrette de la “réduction drastique des relations sexuelles au sein du couple, plus particulièrement des jeunes couples” alors que le sexe est de plus en plus pratiqué en dehors. Que ce soit individuellement, grâce au porno “ultra-accessible à n’importe quel moment de la journée” et les sex toys, de plus en plus utilisés ou de façon extra-conjugale sur des applications comme Gleeden. Sans compter que les applications de rencontres poussent à consommer des personnes, “car nous allons choisir un mec ou une femme, comme nous choisissons une paire de chaussures ou une voiture”, dénonce Thérès Hargot.
“Tous ces phénomènes contribuent à une marchandisation du sexe”, alerte-t-elle. Aujourd’hui, la sexualité des adolescents “est formatée et conditionnée par une industrie qui ne cherche pas à leur apprendre à dire ‘Je t’aime’ par le corps, regrette-t-elle. J’entends souvent dans mon cabinet : ‘Je ne comprends pas, cela marche très bien devant un porno, mais pas avec ma femme/ma fiancée/ma copine’. Leur sexualité fonctionne par un protocole défini par le porno : une pulsion sexuelle, deux-trois clics pour trouver des images qui vont provoquer de l’excitation sexuelle, une masturbation et un plaisir.”
La sexologue étoffe ses propos. “Il y a continuum entre l’exposition à la pornographie chez les mineurs et le fait qu’ils consomment très facilement des services sexuels, comme la prostitution. Car la pornographie n’est que de la prostitution filmée.”
Des conséquences néfastes sur le développement et la santé
En 2011, une étude sur la sexualité des adolescents avait notamment montré que leur consommation grandissante de la pornographie pouvait avoir des conséquences très négatives sur leur développement et leur santé. Elle favoriserait ainsi les crises d’angoisse, les troubles du sommeil, le sentiment de culpabilité ou encore une représentation faussée de la sexualité et des rapports amoureux.
Inquiets des résultats de leur étude, les professionnels de santé demandaient donc à mieux légiférer l’accès des mineurs aux contenus pornographiques. Actuellement, la seule méthode de contrôle des sites consiste à obliger l’utilisateur à cliquer sur un bouton “J’ai plus de 18 ans” où n’importe quel mineur peut donc se faire passer pour un adulte.
“Les fournisseurs d’accès devraient avoir l’obligation d’empêcher les mineurs de consulter les sites pornographiques en imposant des codes fournis à partir de la présentation de la preuve de la majorité ou en imposant une carte bancaire systématique ; et pour ceux qui ne respecteraient pas cette obligation, il faut les attaquer au porte-monnaie en leur infligeant des pénalités qui ne soient pas symboliques : 10 millions d’euros à la première incartade, 50 en cas de récidive”, interpellaient donc les auteurs de ces travaux.