Il n’existe actuellement aucun traitement curatif largement disponible pour soigner la drépanocytose. Depuis une dizaine d’années, cette maladie génétique suscite de plus en plus d’intérêts de la part des grands groupes pharmaceutiques et des États. La recherche avance et de plus en plus de greffes de moelle osseuse permettent de soigner les patients. En parallèle, une thérapie génique est expérimentée et présente des résultats prometteurs. Jacques Elion, chercheur à l’Inserm et consultant à l’Institut national de la transfusion sanguine, fait le point sur les traitements disponibles.
La drépanocytose est la première maladie génétique en France mais reste encore relativement méconnue. Comment l’explique-t-on ?
La drépanocytose est méconnue car insuffisamment enseignée dans les universités de médecine et les médecins généralistes sont peu confrontés à cette maladie. Elle est moins connue que les autres maladies génétiques car elle est moins médiatisée que les autres. Cela s’explique par le fait qu’il existe de multiples associations de patients qui sont dispersées et qui n’ont jamais réussi à se fédérer. Toutefois, cette dynamique a tendance à changer. Ces dernières années, on observe au niveau mondial que les organisations essaient de se mettre ensemble pour partager plus d’informations sur la maladie, faire en sorte qu’elle soit mieux enseignée et pour faire pression sur les décideurs afin d’améliorer sa prise en charge. Il y a eu un effort des gouvernements sur les dix dernières années avec un plan maladie rare qui prend en charge les patients à partir de la naissance jusqu’au décès avec le développement de protocole de prise en charge pour les praticiens. Ils ont également facilité l’accès à des listes claires de spécialistes et de centres spécialisés pour améliorer le parcours du patient.
Comment se passe la prise en charge des patients ?
La prise en charge doit se faire le plus tôt possible. Si possible, elle doit avoir lieu avant les trois mois du nouveau-né, bien que les premières complications dues à la maladie interviennent généralement au bout de 6 mois. Les patients subissent alors une médecine de prévention afin d’anticiper d’éventuelles infections et cela se fait par la prescription d’Oracilline, un antibiotique. Ces enfants se voient rajouter des vaccins à ceux prévus par le programme international de vaccination. Ensuite, il faut faire de la pédagogie et former les parents, notamment à palper la rate qui est souvent très touchée par la maladie et où il peut avoir des anémies profondes avec des chiffres d’hémoglobine qui chutent drastiquement. On leur apprend les signes de complication, comme la fièvre qui ne se gère pas de la même manière chez les sujets drépanocytaires.
Quand le patient est plus âgé, des complications peuvent intervenir et entraîner une transfusion. Pour les enfants et les jeunes adultes qui font des crises douloureuses à répétition, on leur prescrit de l’hydroxycarbamide pour réduire la survenue de ces crises et améliorer leur qualité de vie. Ce médicament marche plutôt bien chez les enfants, mais certains adultes ne répondent pas à ces traitements, d’où l’intérêt de développer de nouveaux médicaments.
Existe-t-il des traitements curatifs ?
La greffe de la moelle osseuse est l’approche curative la plus développée. Actuellement, elle n’est disponible que pour des donneurs de la même famille, principalement le frère ou la soeur, qui doivent être compatibles. Ce traitement coûte cher, environ 70 000€, mais il est efficace et présente très peu de complication. Les greffes ne sont réalisées que chez les patients qui ont des formes sévères de la maladie et cela se réalise quasi-exclusivement chez les enfants mais parfois cela peut également concerner les jeunes adultes. Cette procédure n’est pas anodine et pour tous les patients dont le médecin évoque la greffe, un jury d’experts se réunit et étudie son dossier. Les médecins vont alors détruire la moelle osseuse du patient par une chimiothérapie, pour la remplacer par des cellules souches du donneur. Pendant une période comprise entre 2 et 4 semaines, le patient receveur est très vulnérable et doit rester dans une chambre stérilisée, puis, petit à petit, les cellules souches se réimplantent dans la moelle et le patient se remet à fabriquer des cellules sanguines.
L’autre technique curative explorée est la thérapie génique. Cette technique consiste à prendre les cellules du patient malade et d’apporter un gène normal de globine, bêta A. Cela s’apparente à de la greffe moléculaire, et grâce aux techniques modernes d’édition du génome, on est capable d’aller jusqu’à corriger la mutation, voire même d'agir dans des endroits plus spécifiques du génome qui règlent l’expression hémoglobine adulte. La thérapie génique est entrée dans le concret ces dernières années avec une vingtaine de patients traités dans le monde. Cette technique reste expérimentale, et il faut que les médecins soient certains qu’elle ne présente pas de complication à long terme.
Peut-on imaginer être capable de traiter les patients atteints de cette maladie dans le futur ?
Dans les pays pauvres, l’accent doit être mis sur le dépistage néo-natal et l’imposer partout, notamment en Afrique. Cela avance dans certaines capitales mais aucun pays du continent ne parvient à l’imposer sur tout son territoire. J’ai un collègue, Chérif Rahimy, qui travaille à Cotonou, au Bénin. Dans son centre, il impose le dépistage des nouveaux-nés et identifie ceux qui sont atteints de drépanocytose. Ainsi, il peut commencer un traitement, augmenter le nombre de vaccins pour protéger les populations des infections ou encore faire que l'alimentation soit meilleure. Le taux de survie de ces jeunes enfants à 5 ans est 10 fois plus élevé que la population générale.
Dans les pays plus riches, notamment en Europe et aux États-Unis, le gain d’intérêt des ‘big pharma’ grandit et cela conduit à créer de l’espoir pour les patients et à activer la recherche. Les associations de patients se font également plus entendre et une association mondiale s’est créée, ‘Global loans of sickle cells disease’, pour mettre plus de pression sur les pouvoirs publics et mieux faire connaître la drépanocytose.