Les études de médecine ne séduisent pas les jeunes
Selon une enquête auprès de 1000 Français, les études de médecine rebutent les jeunes générations, alors que la profession est plébiscitée par le grand public.
« Je ne voyais plus personne alors que tous mes amis s'amusaient. En plus, on ne peut pas travailler, on reste dépendant des parents, on peut pas s'affirmer. J'étais épuisée, fatiguée, je travaillais tout le temps ». Ou encore : « C'est des études pour les fils de bourges, quand il y a des parents derrière ok, sinon, c'est même pas la peine ». Deux témoignages piochés parmi des dizaines d'autres, tout aussi démonstratifs… Si le métier de médecin apparaît toujours comme le plus prestigieux aux yeux des Français, les études n'ont plus la cote, conclut un sondage BVA sur « le rôle et la place du médecin généraliste en France », rendu public cette semaine par l'Académie de médecine lors des Etats généraux de l'organisation de la santé. A la fois qualitative et quantitative, l'enquête a été réalisée auprès d'un échantillon de 500 généralistes et 1000 Français. Appelés à citer les trois professions qui leur semblent les plus prestigieuses, près de six Français sur dix (58%) ont évoqué celle de médecin. Les praticiens sont donc toujours au top des métiers les plus plébiscités, largement devant les enseignants (cités par 36% des sondés) et les infirmiers (31%). Huit jeunes sur dix n'envisagent pas d'études médicales Pour autant, à peine deux Français sur trois (69%) et seulement un généraliste sur deux (53%) conseilleraient des études médicales à leurs enfants. Un message visiblement bien reçu chez les jeunes générations : selon la partie du sondage effectuée chez des 15-17 ans, 80% d'entre eux affirment ne pas envisager de suivre ce cursus. Comme l'explique le Pr Daniel Loisance, chirurgien cardiaque et membre de l'Académie de médecine, la formation fait peur. Elle est perçue comme trop longue, trop difficile… Inadaptée aussi, comme le confirment des témoignages d'étudiants qui se sont inscrits et ont abandonné. « Pourquoi faire de la mécanique ? De la chimie ? Si ce n'est pour nous sélectionner », regrette l'un d'entre eux. Pas vraiment nouveau chez les candidats au PCEM 1, ce couplet sur l'inutilité des matières enseignées dans les premières années est toujours d'actualité.
Les carabins ne sont pas tendres non plus sur la qualité de l'enseignement. « Les cours sont mauvais : les profs ne sont pas des pédagogues, les vrais profs, ce sont ceux qui nous encadrent pendant les stages », estime l'un. « Les profs sont là par stratégie, c'est politique d'être prof à la fac, surtout pour les spécialistes », tranche un autre. Des angoisses par rapport à l'exercice de la profession sont aussi une cause majeure d'auto-censure, d'abandon ou de renoncement aux études médicales, constate le sondage commandé par l'Académie de médecine. Parallèlement, l'enquête auprès des 500 généralistes montre que deux tiers d'entre eux sont eux plutôt satisfaits de leur exercice professionnel. Pour prévenir l'échec, un rapport du Pr Jean-François Bach sur la réforme de la première année de médecine, remis en février à Valérie Pécresse, ministre de l'Enseignement supérieur et de la recherche, et à Roselyne Bachelot, ministre de la Santé, préconisait entre autres, de « réorienter dès le mois de janvier les étudiants dont les résultats sont très insuffisants et qui statistiquement n'ont aucune chance de réussite ni à la fin de la première année, ni même en redoublant ». Les propositions que va présenter l'Académie de médecine sur la réforme du PCEM1 dans les jours ou les semaines à venir vont plus loin. A l'image de l'exemple suisse, les Sages de la rue Bonaparte suggèrent carrément d'évaluer précocement l'aptitude des candidats aux études médicales, pour dépister et réorienter ceux qui n'auraient pas les qualités requises. Une prévention probable d'un gâchis humain certes, mais au prix de quelle discrimination ?
Questions au Pr Daniel Loisance, membre titulaire de l'Académie de médecine
« Evaluer l'aptitude des candidats à faire médecine»
Votre enquête constate une désaffection pour le métier de médecin. Comment l'expliquer ? Pr Daniel Loisance. Le sondage montre très clairement qu'en terme de notoriété et de consensus social le médecin traitant, le médecin de famille, le médecin généraliste réunissent tous les suffrages. Mais malgré cette image formidable, personne ne veut faire ce métier. Les questions qui ont été posées ont permis de comprendre ce paradoxe. La première explication tient précisément à la position centrale du généraliste dans le système de santé. Les candidats médecins ont un peu peur d'avoir une responsabilité très lourde sur la tête. Deuxièmement, les études médicales sont perçues comme extrêmement longues, difficiles, et surtout pas très bien adaptées au métier futur. Le troisième facteur concerne les conditions d'exercice de la médecine. Il y a une sorte de rejet des modalités d'exercice traditionnel : médecin isolé, responsable de tout, etc. Les demandes sont celles d'un travail en groupe, en réseau, avec toutes les spécialités à proximité.
Les critiques sur le déroulement et le contenu des études médicales vous semblent-elles fondées ? Pr D.L. Ces études qui font peur et apparaissent très pauvres en enseignement purement médical ne sont pas si incohérentes et si inadaptées que cela. Il faut trouver la bonne balance entre la formation scientifique et la formation au métier de médecin c'est-à-dire la dimension humaniste, et actuellement elle n'est pas si mauvaise. Ce qui fait peur essentiellement , c'est la première année, mais tout le monde est d'accord pour dire qu'elle ne se déroule pas dans des conditions optimales aujourd'hui. Il existe un immense entonnoir avec des milliers de candidats qui entrent et une sélection au bout. Comment dès lors assurer un enseignement de qualité pour des hordes de candidats qui à la limite n'ont rien à faire dans ces filières là ?
Que propose l'Académie de médecine ? Pr D.L. Nous proposons de réguler l'accès à la première année de médecine. Chaque candidat pourrait être évalué par un jury qui regarderait non seulement sa formation scientifique, sa qualité intrinsèque, mais s'intéressait surtout à sa personnalité. Il y a des gens très brillants qui ne sont pas faits du tout pour le métier de médecin, c'est à dire être en contact avec les malades, la maladie et tout ce que cela sous-entend. Ces candidats là doivent être dépistés très tôt, et réorientés vers des professions qui, s'ils le souhaitent peuvent continuer à graviter autour de la médecine, mais en tout état de cause exclueraient un contact avec le malade. C'est ce qui est fait en Suisse avec un très grand succès. Dans ce pays, on utilise des tests psychotechniques et un entretien individuel, et tout ceci permet de cerner très précisément les personnalités candidates. Entretien avec S.C
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