Maux de dos, migraines, douleurs dentaires… Pendant le confinement, nombre de Français ont négligé certains aspects de leur santé. Parmi la population concernée : les personnes ayant besoin de lunettes de vue ou de lentilles de contact. Pour les besoins les plus urgents, un dispositif de service minimum avait été mis en place le 23 mars avec le ministère des Solidarités et de la Santé, notamment pour assurer le renouvellement des équipements cassés ou perdus, et en délivrer sur nouvelle ordonnance "spécifiant le caractère d'urgence".
"Beaucoup de monde venait à la boutique, entre les personnes qui cassaient leurs lunettes et celles qui venaient pour des renouvellements", se remémore Mathilde Bourceret, opticienne dans le 17ème arrondissement de Paris pour l'enseigne Krys. Membre du "Service d'Urgence Opticien", le magasin accueillait les clients les lundis et mardis, quasiment toute la journée. "Avec le déconfinement le 11 mai, on a repris des horaires habituels, indique Mathilde Bourceret. On a eu énormément de clientèle d'un coup, en raison du nombre de personnes qui ne pouvaient pas venir pendant le confinement".
"On essaie quand même de rattraper ce que l'on peut par rapport au confinement"
L'opticienne constate un changement de rythme important par rapport à "l'avant Covid", avec davantage de demandes en semaine que le week-end. "Je pense que c'est dû à la quantité de clients encore en télétravail : c'est plus simple pour eux de passer nous voir la semaine", estime-t-elle. En revanche, le chiffre d'affaires, lui, est quasi similaire à celui de l'année dernière.
"On a même des nouveaux clients ; c'est une bonne nouvelle, se réjouit Mathilde Bourceret. Il n'y a pas de différence flagrante avec 2019, mais on essaie quand même de rattraper ce que l'on peut par rapport au confinement". Une tendance plutôt positive que l'on constate globalement dans le secteur. "Le volume de commandes est revenu à 100 % de ce qu'il était avant la crise, avec parfois un effet rattrapage", rapportaient ainsi Les Échos à la fin du mois de mai.
Une perte de 3 à 4 millions de paires de lunettes sur l'année
Le problème, c'est que les professionnels du secteur estiment que seules 11 à 12 millions de paires de lunettes devraient être vendues en 2020 sur les 15 millions prévues, comme le rapporte Le Parisien. En cause notamment : la fermeture des cabinets d'ophtalmologie durant le confinement, ainsi que le ralentissement du rythme des consultations induit par les règles sanitaires en vigueur. "Un problème de santé publique" pour Alain Gerbel, le président de la Fédération nationale des opticiens de France (Fnof), interrogé par nos confrères.
"Selon la loi, en cas d'urgence (perte ou de bris de lunettes) et en l'absence de médecin, les opticiens sont autorisés à délivrer des lunettes sans ordonnance, mais sans remboursement, souligne Alain Gerbel auprès du Parisien. La loi nous reconnaît donc compétents pour délivrer des équipements ! Pourquoi ne pas assouplir temporairement cette dérogation et l'assortir d'une prise en charge par l'Assurance maladie ?". À l'instar d'autres syndicats du secteur, la Fnof a adressé un courrier au ministre de la Santé en ce sens.
Vers la prolongation de deux ans des ordonnances en circulation ?
D'autres acteurs demandent la prise en charge de la téléprescription par l'Assurance maladie, de même que la prolongation de deux ans des ordonnances déjà en circulation. Objectif : sauver un secteur jugé "en danger". "Nous anticipons une baisse de 30 à 35 % de notre chiffre d'affaires annuel", assure Jean-Pierre Champion, le PDG des 1 400 magasins que compte l'enseigne Krys, comme le rapporte Le Parisien. Il craint "une seconde lame, sournoise, liée aux retards dans les prescriptions, les ophtalmologues ne pouvant plus accueillir que 5 patients par heure au lieu de 8 du fait des mesures barrière".
Également contacté par nos confrères, Thierry Bour, le président du syndicat national des ophtalmologistes de France (SNOF), se montre plus rassurant. "Les ophtalmologues devraient vite revenir à 80 % de leur activité, estime-t-il. Un retard de deux millions de prescriptions est possible". De son côté, le gouvernement n'a pas annoncé d'aides propres à l'optique. "Le Ségur de la santé va permettre d'accueillir les contributions du secteur et voir ce qui peut être amélioré", avance l'entourage d'Olivier Véran, le ministre de la Santé, dont Le Parisien s'est fait l'écho.
Des mesures sanitaires strictes pour rassurer les clients
Par ailleurs, il semblerait que les opticiens peuvent compter sur leurs clients. Dans un sondage OpinionWay pour le GIFO paru le 13 mai, soit deux jours après le déconfinement, 36% des répondants indiquaient ainsi vouloir réaliser leur achat de lunettes ou de lentilles "dès que possible". Ils étaient même 70% à préférer se rendre chez leur opticien plutôt qu'acheter leurs lunettes ou lentilles en ligne.
Une tendance que l'on pourrait imputer à l'aspect "rassurant" des mesures sanitaires toujours en vigueur chez les opticiens, malgré l'accélération du déconfinement. "Dès qu'ils rentrent dans notre boutique, les clients se désinfectent les mains, explique Mathilde Bourceret. On n'oblige pas le port du masque, mais, nous, les opticiens, on en a. Lorsque quelqu'un essaie une monture, il ne la range pas ; c'est nous qui nous nous en occupons. On la désinfecte avec une lingette, puis on nettoie très régulièrement notre matériel de mesure".
Par ailleurs, pour éviter qu'il y ait trop de monde en boutique, il est recommandé de prendre rendez-vous en ligne avant de se déplacer. "C'est mieux de le faire, mais on accepte aussi les clients qui viennent à l'improviste", précise l'opticienne. Autre chiffre révélateur du sondage OpinionWay pour le GIFO : celui du nombre de personnes qui souhaitent maintenir leur budget chez l'opticien. Il s'élève à 85%, tandis que 4% des sondés avaient même prévu de l'augmenter.