Jeûner pour mieux traiter le cancer ? Le débat n’en finit pas. Alors que certains médecins assurent que “détoxifier” son organisme peut aider à lutter contre la maladie, d’autres au contraire trouvent cet argument infondé scientifiquement et beaucoup trop risqué pour le patient, déjà très affaibli. Une nouvelle étude parue dans la revue Nature, va dans le sens des pro-jeûne puisque, d’après les chercheurs, jeûner avant le début d’une chimiothérapie pourrait améliorer l’état de malades du cancer du sein. Ces résultats sont toutefois à prendre avec des pincettes, alertent des experts, sceptiques.
Nombre d’essais sur les animaux montrent qu’un régime imitant le jeûne pouvait protéger les cellules saines contre la chimiothérapie tout en rendant les cellules cancéreuses plus vulnérables au traitement. Les chercheurs du centre médical de l'université de Leiden (Pays-Bas) ont suivi 129 patientes atteintes d’un cancer du sein. Ces dernières avaient un indice de masse corporel assez élevé pour supporter le jeûne pendant quelques jours sans risque de dénutrition. Elles ont été réparties en deux groupes. Le premier a dû suivre un régime alimentaire imitant le jeûne, à base de plantes et à faible teneur en acides aminés, composé de soupes, de bouillons et de thé, pendant les trois jours, avant et après la chimiothérapie. Pendant ce temps-là, l’autre groupe a continué à se nourrir normalement.
Les chercheurs ont alors constaté que les patientes qui avaient suivi le régime imitant le jeûne hydrique — mis au point pour provoquer des réactions métaboliques similaires au jeûne uniquement à base d’eau et apporter les protéines nécessaires — avaient mieux répondu à la chimiothérapie que les autres. En effet, le jeûne n’a pas renforcé la toxicité du traitement mais a en revanche permis une meilleure survie sans progression de la maladie lorsqu'on observe la croissance de la tumeur par radiologie, expliquent-ils dans leur papier.
La première étude du genre
Là encore, comme chez les souris, le régime imitant le jeûne permettrait de rendre les cellules cancéreuses plus sensibles à la chimiothérapie tout en protégeant les saines. Il réduirait par ailleurs considérablement les dommages causés par le traitement à certaines cellules T.
“Il s'agit de la première étude contrôlée randomisée évaluant les effets de la fièvre aphteuse sur la toxicité et l'efficacité de la chimiothérapie chez les patients atteints d'un cancer”, se félicitent les auteurs de cette étude. Selon eux, ces résultats encouragent une exploration plus approfondie des avantages du jeûne dans le cadre d’une thérapie anticancéreuse.
Toutefois, certains experts restent sceptiques malgré tout. “Les résultats chez la souris (les animaux en général) ne sont pas transposables chez l'Homme : la temporalité, les organismes et mécanismes ne sont pas les mêmes. Cela donne des hypothèses et des pistes de travail encourageantes mais ne permet pas de conclure ou de conseiller les patients”, explique ainsi la docteure Vanessa Cottet, chercheuse et épidémiologiste, à Sciences et Avenir. En 2017, elle avait participé à la rédaction d’un rapport de l'Institut national du cancer recherche (INCa), recensant 224 publications scientifiques pertinentes sur l'efficacité du jeûne dans le cancer. Parmi elles, 200 portaient sur un animal et les 24 restantes, effectuées sur des humains, présentaient des effectifs ou des qualités insuffisants.
Une méthodologie qui questionne
“Cette étude est la seule qui tienne la route aujourd'hui en faveur du jeûne chez les patients atteints de cancer”, analyse le docteur Bruno Raynard, gastro-entérologue et chef de l'unité transversale de diététique et de nutrition à l'Institut Gustave-Roussy (Paris), lui aussi co-auteur du rapport de l'INCa, également interrogé par Sciences et Avenir. Même si cette étude se distingue des autres sur le sujet, sa méthodologie questionne.
“Il n'y a pas d'explication sur les mécanismes expliquant cet effet sur la survie sans progression. Il manque également beaucoup de données pour juger de l'effet réel du jeûne étudié, comme l'état nutritionnel préalable des patients, les ingesta [ce que les patientes ont ingéré, NDLR] notamment protéiques, et leur niveau d'activité physique. Ces trois critères sont des facteurs éminemment importants pour juger de l'effet pronostique [prédiction des résultats cliniques, NDLR] d'un support nutritionnel", détaille Bruno Raynard.
D’autant plus que les patientes n’ont pas complètement arrêté de s’alimenter et ont ingéré des produits développés par une marque dans laquelle l’un des signataires du papier a des intérêts financiers, révèle Sciences et Avenir. Qui plus est, la méthode statistique utilisée pour évaluer les résultats sur la survie sans progression et les critères sur lesquels les patients y sont inclus ou pas manque de rigueur, dénonce Vanessa Cottet, qui pointe du doigt “des incohérences et des imprécisions dans ce papier”. Enfin, sur les 65 patientes qui devaient jeûner, seules 13 s’y sont tenues pendant les quatre cycles de traitement.
En conclusion, “il faut rester très méfiant sur les usages du jeûne que ce travail pourrait entraîner chez les patients. Il faut garder à l'esprit que la piste reste à étudier, mais qu'il n'y a pas de preuves suffisamment fortes pour que le recours au jeûne soit recommandé”, déclare Bruno Raynard. D’autant plus que, même s’ils étaient ensuite confirmés, ces résultats ne seraient valables que pour cette chimiothérapie et dans ce type de cancer.
Quid du jeûne intermittent ?
Outre le cancer, les chercheurs s’intéressent également de près aux effets du jeûne dans le traitement de maladies chroniques. Récemment, des chercheurs ont publié une étude montrant que le jeûne intermittent permettrait de protéger le foie et de contrer le diabète.
“Nous ne savions pas que le jeûne pouvait reprogrammer des protéines du foie, qui remplissent différentes fonctions métaboliques essentielles”, explique le docteur Mark Larance, dont l’équipe a constaté que le jeûne intermittent avait une influence sur la protéine HNF4-(alpha), qui régule de nombreux gènes du foie. Lorsqu’on jeûne, l’action de cette protéine est bloquée : cela permet d’améliorer la métabolisation des lipides, améliore les taux de glucose dans le sang et réduit les niveaux d’inflammation. D’après Mark Larance, ces découvertes pourraient aider à améliorer la tolérance au glucose et aider à la régulation du diabète.
De nombreuses personnes en bonne santé pratiquent d’ailleurs le jeûne intermittent de temps à autre afin de nettoyer en profondeur leur organisme. Si cela vous interpelle, parlez-en à votre médecin au préalable. Si vous décidez de prolonger l’expérience au-delà de sept jours, faites-le sous supervision d’un professionnel.