Où est donc le géant Brésilien ? Ce 29 juin, le pays de la samba est le deuxième pays le plus touché par la pandémie derrière les États-Unis. Il compte 1 355 143 cas avérés (soit 13% des cas mondiaux) et 57 622 morts (soit 11% des décès mondiaux) sur près de 210 millions d'habitants. Rapporté à la population, le Brésil compte 275 trépas pour 1 million d'habitant soit moins que la plupart des pays européens (Belgique, Royaume-Uni et notamment France). Cependant, le rythme élevé de confirmation de nouveaux cas est alarmant. Alors que plus de 80 000 cas étaient recensés chaque jour en avril, le nombre de nouvelles contamination ne cesse de s'accroitre jusqu'à atteindre le 26 juin dernier un pic à 191 700 cas de Covid-19 enregistré ce jour-là. La pandémie semble hors de contrôle.
Lors d'une table-ronde organisée par la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, ce 25 juin, la professeure en éthique de la santé mondiale à l'université de Sao Paulo (Brésil), Deisy Ventura a qualifié la situation de "carnage évitable" et estime que les peuples amérindiens d'Amazonie subissent un "génocide" faute d'accès aux soins. "Le Brésil possède un système unique de santé [NDRL: par rapport aux autres pays du continent sud-américain] il prévoit l'accès universel au système de santé public et le considère comme un droit lié à la citoyenneté et cela a été inscrit au sein de la Constitution fédérale" assure-t-elle aux députés français.
Pourtant, selon elle, les politiques brésiliens ont affaibli ce système notamment en imposant des mesures d'austérité économique pour limiter "son déficit chronique de financement" en "fixant un plafond aux dépenses de santé publique dès 2017". Selon la chercheuse ces mesures ont arrêté ou affaibli "les programmes sanitaires les plus efficaces du système unique de santé."
Le président accusé de mener une "guerre politique"
Mais la mauvaise santé économique des hôpitaux publics brésilien ne sauraient expliquer à elle seule la confusion qui règne dans le pays. Le président Jair Bolsonaro qui a qualifié la Covid-19 de "petite grippe" est accusé de minimiser la gravité de la pandémie. Malgré les alertes de l'OMS ou de la communauté internationale, Jair Bolsonaro comme Donald Trump, politise de la crise sanitaire... contre les avis de ses propres conseillers. Après la démission de deux ministres de la santé, il a placé un militaire - sans compétence médicales reconnues - à la tête du ministère de la santé. "La réalité de la pandémie a été très tôt révélée par les experts au Brésil, relate Olivier Dabène, président de l'Observatoire politique de l'Amérique latine et des Caraïbes du CERI (Sciences-Po). Seul le président Bolsonaro l’a niée, pour deux raisons principales : ses croyances religieuses, qui l’amènent à n’accorder aucun crédit à la science, et sa volonté de ne pas ralentir la lente reprise économique qui était programmée pour 2020."
Dès lors le président fédéral semble mener une "guerre politique" contre les gouverneurs des États fédérés brésiliens qui tentent de mettre en place des mesures de distanciations sociales ou encouragent le port du masque. Il n'hésite pas à les contredire et pousser la population à ne pas respecter les mesures sanitaires pour limiter la crise.
Cette crise politique semble se muer en une vaste affaire judiciaire. "La Cour suprême a reconnu [...] dans sa décision du 15 avril 2020 la compétence des gouverneurs et maires de légiférer en la matière. Il s'agit d'une confrontation politique qui a pour principal enjeu les impacts économiques voir électoraux des mesures du confinement, explicite Deisy Ventura. La tension politique au Brésil est maximale et malheureusement les gouverneurs semblent céder à certaines pressions." La chercheuse dénombre près de 3 000 affaires judiciaires liées à la Covid-19 présentées auprès de la Cour suprême du pays. Elle s'inquiète des effets à long terme de cette judiciarisation de la santé au Brésil. "Certaines décisions judiciaires permettre de déroger au paiement salaire pendant la pandémie, rapporte-elle. Les espaces judiciaires sont transformés en champs de bataille entre les groupes qui soutiennent les mesures de confinement et ceux qui les attaquent. Il est trop tôt pour dire dans quel sens va cette judiciarisation : vers plus de protection, de droit et de libertés ou le contraire."
Dans les favelas, le couvre-feu surveillé par des réseaux du crime organisé
Face à cette cacophonie, les Brésiliens sont partagés. Les rumeurs, la fièvre politique mais aussi la dépendance à un système économique informel empêchent de nombreux habitants de limiter leurs déplacements. "Les premières semaines, les gens étaient disciplinés, assure Christian Pouillaude, également blogueur pour Courrier international interrogé par 20 minutes. Au bout de trois semaines, ça commençait à partir dans tous les sens…" Selon Le Monde, 38 millions de Brésiliens dépendent du secteur informel. La Chambre des députés a voté une aide exceptionnelle jusqu'en juillet. "Mais dans certains quartiers, cependant, la persistance du crime organisé ajoute à l’instabilité politique locale, de même que le refus d’une intervention directe de l’Etat pour venir en aide aux populations, assure Olivier Debène. Trois favelas cariocas voient ainsi leur couvre-feu assuré dans le cadre de la quarantaine par le Comando Vermelho, un des plus grands réseaux de crime organisé du Brésil. Début avril, le soutien économique voté par la Chambre n’avait ainsi toujours pas atteint les quartiers populaires brésiliens." Divisé, le Brésil semble incapable d'organiser de manière efficace sa lutte contre la pandémie et pourtant l'hiver austral doit s'installer ces prochaines semaines laissant présager de nouvelles vagues de contaminations et de décès.