C'est l'histoire d'un médicament ancien, de patients âgés et du congrès américain de cardiologie (American College of Cardiology, 30 mars-1er avril 2008). A Chicago, la présentation d'une étude a particulièrement retenu l'attention des médecins. Elle montre que l'on peut épargner la vie de près d'un hypertendu sur quatre de plus de 80 ans. Une population qui, jusqu'à présent, était victime d'une idée reçue : inutile de traiter des octogénaires contre l'élévation de leur tension artérielle. Au nom d'une hypothèse non vérifiée qui prétend que les risques l'emporteraient sur le bénéfice, la stratégie la plus en vogue consiste à ne rien faire. Les résultats de l'étude présentée à Chicago ont apporté un tout autre son de cloche. Ils ont été parallèlement publiés dans le New England Journal of Medicine. Hyvet (*), c'est le nom de ce travail, a été coordonné par des scientifiques de l'Imperial College de Londres. Près de 4000 volontaires de plus de 80 ans présentant une hypertension artérielle moyenne de 17 / 9 ont été recrutés dans 13 pays, en Afrique du Nord, Chine, Australie et en Europe (y compris en France). Les médecins anglais responsables de cette étude ont constitué deux groupes ; l'un traité par un placebo, l'autre avec un antihypertenseur de type diurétique connu pour son efficacité et surtout sa bonne tolérance, l'indapamide (Fludex LP). Un inhibiteur de l'enzyme de conversion, le perindopril (Coversyl) ou un placebo était ajouté si nécessaire pour atteindre l'objectif tensionnel (15/8). L'objectif principal de l'essai, prévu pour durer plusieurs années, était de chiffrer l'effet sur les accidents vasculaires cérébraux (AVC), fatals ou non. Au bout de deux ans, l'étude a été interrompue. Dans le groupe traité par Fludex LP, les résultats étaient si spectaculaires qu'il n'était plus éthique de ne pas en faire profiter les autres. L'objectif tensionnel était atteint chez près de la moitié des hypertendus traités, et seulement 20% de ceux prenant un placebo. Surtout, le traitement était associé à une réduction de 21% de la mortalité globale. Les AVC étaient réduits de 39% et les cas d'insuffisance cardiaque de 64%. Globalement, les événements cardio-vasculaires ont eux chuté de 34%. Ces bénéfices sont apparus au cours de la première année de suivi. L'étude ayant été interrompue précocement, une extension impliquant les patients ayant reçu le traitement actif est en cours pour évaluer les conséquences à plus long terme du traitement. Mais selon les responsables de cet essai, il existe déjà des conséquences pratiques : l'hypertension du sujet âgé devient une priorité diagnostique et sa prise en charge et une évidence thérapeutique. Jean-François Lemoine, envoyé spécial à Chicago (*) Hypertension in the Very Elderly Trial. Questions au Pr Françoise Forette, professeur de gériatrie, Paris, co-auteur de l'étude «Vivre en bonne santé après 80 ans » Etes-vous surprise par ces résultats ? Pr Françoise Forette. Non, mais favorablement impressionnée, car les données aussi bien épidémiologiques que celles issues des grands essais étaient contradictoires. Les études épidémiologiques montraient que plus la tension artérielle était élevée, plus la survie était longue alors que d'autres faisaient déjà apparaître une réduction de l'incidence des accidents vasculaires cérébraux (AVC) quand la tension artérielle était normale. Quant aux grands essais contrôlés, ils n'avaient malheureusement pas introduit assez de patients de 80 ans et plus pour conclure de façon pertinente. Donc, une étude spécialement dédiée à la population de 80 ans était absolument nécessaire, ce qu'a fait Hyvet.
Jusqu'à quel âge traiter ? Pr F.F. C'est à chaque médecin en fonction de ce qu'il sait de son patient de décider. Mais il ne faut pas oublier que plus de 80% des patients de 80 ans et plus sont en bonne santé et non dépendants. Donc, c'est cette population en bonne santé qu'il faut traiter, d'autant plus que la tolérance a été bonne dans l'étude : aucun changement significatif de l'acide urique, du potassium, du glucose ou de la créatinine n'a été relevé. Et quand on voit des effets secondaires plus sérieux, ils sont plus nombreux dans le groupe placebo ! Donc feu vert pour les médecins ? Pr F.F. Non seulement feu vert, mais c'est un objectif prioritaire de santé publique ! Ce n'est pas parce que l'on a 80 ans qu'il faut prendre le risque d'un AVC qui en quelques secondes transforme une personne active, autonome, qui a envie de vivre en un malade confiné au lit, totalement invalide et dépendant. De plus, cet AVC va coûter cher à la société. Donc, devant l'augmentation de la longévité, le médecin doit garder à l'esprit cet objectif de santé publique en faisant en sorte que ses patients de plus de 80 ans puissent vivre en bonne santé. Entretien avec le Dr Sophie Lemonier |