Le professeur Jean-Paul Vernant est un homme en colère. La pénurie de certains médicaments en pleine crise du coronavirus est venue renforcer les critiques dont ce professeur honoraire en hématologie n'était déjà pas avare vis-à-vis de l'industrie pharmaceutique. Dans son collimateur depuis plusieurs années, les prix de nouveaux médicaments qu'il juge “complètement fous”.
Un mal qui, selon lui, serait en train de s'aggraver: “Jusqu'aux années 2000, ces prix étaient parfois élevés mais fixés à l'aune du coût des recherches et du développement. Aujourd'hui, les innovations thérapeutiques atteignent des prix astronomiques qui ne sont pas justifiés puisque l'industrie ne fait plus de recherche, celle-ci est du domaine de structures publiques, son travail est mâché!”, accuse le professeur Vernant qui fait rapidement le lien entre la “nécessité de bénéfices rapides et importants d'une industrie financée par des fonds de pension américains” et des situations de pénurie comme celles que la France a connues durant la crise sanitaire sur le curare, les produits d'anesthésie, les antibiotiques et même le paracétamol.
“Les vieux médicaments n'intéressent plus l'industrie pharmaceutique”
“Pourquoi ces pénuries ?” fait-il semblant de s'interroger avant d'apporter sa réponse. “Quand l'industrie a eu envie de gagner beaucoup d'argent, elle est passée à des productions de niche en créant des médicaments pour un nombre modéré de malades mais qui vont coûter très très cher, Car-T-Cells, immunothérapie, et cætera, mais les vieux médicaments qui coûtaient un prix raisonnable ne les intéressent plus !”
Le professeur Jean-Paul Vernant va plus loin en dénonçant ce qui est à ses yeux l'autre origine de certaines pénuries, les délocalisations de la fabrication des médicaments vers des pays “aux coûts moins élevés et aux contraintes environnementales moins lourdes”. “Les gros laboratoires sous-traitent pour le façonnage de leurs produits, ils ne savent même plus ce qui se passe en amont”, assure-t-il en dénonçant une situation dans laquelle "les titulaires d'AMM [autorisation de mise sur le marché, NDLR] ne savent même pas qui produit le principe actif !”
L'obligation pour les titulaires d'AMM de disposer de stocks
Des propos qui résonnent au lendemain d'une crise sanitaire qui a fait dire à Emmanuel Macron que “les produits de santé ne devaient plus dépendre du marché”. “Nous avons en France et en Europe des façonniers qui sont capables d'assurer la production des médicaments”, assure Jean-Paul Vernant qui entend par ailleurs prendre au mot le président de la République en avançant trois propositions.
“Nous devons exiger tout de suite des titulaires d'AMM qu'ils disposent de 4 à 6 mois de stocks de produits finis, il est nécessaire de rapatrier en France et en Europe la fabrication des principes actifs et il serait souhaitable de créer une structure dans le cadre d'un partenariat public-privé qui organise la production des médicaments.”