Clairvoyant, lucide, ou désabusé et résigné ? Difficile de qualifier l'état d'esprit du Professeur Yonathan Freund. Fier de son métier d'urgentiste à la Pitié-Salpêtrière -"C'est l'endroit où l'on sert immédiatement à quelque chose, ici on soigne tout le monde "-, il n'hésite pourtant pas à lancer d'emblée à propos de son service : "On a toujours été le paillasson de l'hôpital...". Pas très glorieux !
Il est vrai qu'il est au coeur de ce qui est presque devenu le symbole du malaise de l'hôpital, la crise des urgences. Une crise qui dure et qui a de quoi lui faire perdre quelques illusions. A commencer par celles que pouvait faire naître le Ségur de la santé. "Pourquoi refaire une énième consultation alors que l'on sait très bien quels sont les problèmes et les revendications ?", s'interroge Yonathan Freund.
"On avait peur de ne pas pouvoir prendre tous les patients en charge"
Des doutes que ne vient même pas calmer la satisfaction née des prouesses de l'hôpital pour tenir au plus fort de la crise sanitaire. "On avait peur de ne pas pouvoir prendre tous les patients en charge correctement, mais heureusement on s'est complètement réorganisés et surtout on a disposé de moyens illimités; cela ajouté à la déprogrammation des autres soins, on pouvait tous se concentrer sur une seule chose... Mais avec le retour des autres patients, on va revoir les malades sur des brancards".
Il n'y aurait donc pas de solution à cette crise des urgences ? Pour Yonathan Freund, c'est la façon dont le sujet est abordé qui poserait problème. Les urgences débordées parce qu'elles doivent gérer des cas qui pourraient relever de la médecine de ville ? "C'est un discours qui culpabilise les malades ou la médecine libérale, je ne suis pas là-dedans", réplique le Pr Freund qui précise que la présence aux urgences de ces patients qui présentent des pathologies légères "ne prend pas beaucoup de ressources, ce n'est pas eux le problème !".
Alors que faire ? Même si son choix est de renvoyer les dirigeants du système de santé à leur responsabilité, celle de prendre les décisions qui s'imposent -"Je n'ai pas de solutions, je donne mon analyse..."-, Yonathan Freund avance tout de même quelques idées. "Un médecin qui veut hospitaliser un patient doit pouvoir faire son métier et choisir le service d'hospitalisation de son malade sans avoir à l'envoyer aux urgences", affirme-t-il. Mais quels moyens dégager pour que cela soit possible ? "Il y a la délégation de tâche, on y va doucement avec les infirmiers de pratique avancée".
Trouver des lits en aval des urgences
Des pistes qui ne pourront régler que très partiellement l'obstacle numéro un au bon fonctionnement des urgences, la difficulté de trouver les lits nécessaires en aval de ces services. "Dans mon équipe, j'ai deux médecins à plein temps qui ne font que chercher des lits !", s'indigne le jeune professeur.
Mais au lendemain de la crise sanitaire et des grandes promesses d'un avenir meilleur faites au monde de la santé, voit-il quelque chose bouger pour traiter le problème ? "Il n'y a pas de jour d'après, estime Yonathan Freund, on dit tous les jours ce qui ne va pas, je n'ai aucun espoir ... ". Et il enfonce le clou avec une conclusion qui résonne comme une sombre prédiction :"Vous verrez, en 2022 rien n'aura changé, aux urgences, les malades seront toujours sur des brancards". Finalement, le juste mot pour dire l'état d'esprit du Professeur Yonathan Freund, c'est peut-être "résigné".