Et si les allergies étaient en train de devenir le mal du XXIe siècle ? On estime que ce problème de santé touche aujourd'hui en France entre 25 et 30% de la population, avec une augmentation de sa fréquence très sensible depuis les 30 dernières années. L'OMS évoque la possibilité qu'en 2050, une personne sur deux sera allergique ! En cause, l'évolution de notre environnement et de nos modes de vie.
Le réchauffement climatique augmente la diffusion des pollens — principaux allergènes — et la pollution atmosphérique favorise leur diffusion ou leur inhalation. Ces deux facteurs ont manifestement un lien avec la multiplication des cas d'allergies respiratoires qui, dans un tiers des cas, dégénèrent en asthme, une maladie très handicapante qui provoque plus de 60 000 hospitalisations par an et près d'un millier de décès.
La fréquence des allergies aurait doublé en quelques années
Quant à la modification de la composition de nos repas et même un usage immodéré de certains médicaments (une étude publiée dans le Jama souligne que l'administration d'antibiotiques aux jeunes enfants pourrait aussi être un facteur de risque de développement de maladies allergiques), ils seraient responsables de l'apparition de plus en plus fréquente, notamment chez les enfants et les jeunes adultes —la proportion de personnes concernées atteint désormais 5% dans ces tranches d'âge —, d'allergies alimentaires. Leur fréquence aurait doublé en quelques années et les conséquences qu'elles peuvent entraîner sont parfois très graves, œdème de Quincke voire choc anaphylactique nécessitant une prise en charge en urgence.
Rien ne prédit un ralentissement de ces tendances : la forte composante génétique des allergies est un terrain favorable pour qu'à travers les mécanismes d'épigénétique les changements environnementaux majeurs que nous connaissons aboutissent à une multiplication des cas d'allergie. Il est par ailleurs de plus en plus admis, comme le prouve une très récente étude publiée dans la revue Clinical & Experimental Allergy, que la sensibilité des parents aux allergies se retrouve souvent chez leurs enfants.
Une réponse inappropriée du système immunitaire
Le mécanisme qui provoque la maladie est pourtant de mieux en mieux compris. L'allergie est une forme de réponse inappropriée de notre système immunitaire. Celui-ci utilise les lymphocytes T ou les immunoglobines IgE présents à la surface de ses cellules pour attaquer les agents infectieux qui pénètrent dans notre organisme. Ces anticorps circulent dans le sérum sanguin et sont associés à des cellules du système immunitaire particulièrement nombreuses dans la peau les poumons et le tube digestif, les polynucléaires basophiles et les mastocytes tissulaires. Lorsqu'un allergène — substance a priori inoffensive — se lie à cette association, la cellule est “activée” comme si elle était attaquée par une bactérie ou un virus et largue des médiateurs chimiques, histamine, tryptase, leucotriènes ou prostaglandines, molécules qui sont responsables de la réaction allergique.
Mais malgré la bonne compréhension de ce processus, les allergies restent parfois difficiles à prendre en charge. Heureusement, la parade en cas de choc anaphylactique, conséquence qui peut être gravissime des formes les plus aigües, est bien connue : une injection d'adrénaline. En revanche, pour traiter les allergies chroniques et surtout prévenir la maladie, l'exercice est plus complexe, d'autant qu'il nécessite de prendre en compte le fait que l'augmentation du nombre de patients allergiques s'accompagne d'une multiplication des cas de polyallergies.
Tester et traiter
D'où la nécessité de commencer par établir le bon diagnostic. Le nez qui coule, les yeux qui piquent ou des démangeaisons de la peau ne sont pas systématiquement des manifestations allergiques ! L'examen clinique de chacun des symptômes et une prise en compte des antécédents ou du mode de vie peuvent être complétés par des tests cutanés, dits “prick tests”, ou un examen sanguin pour repérer les immunoglobulines spécifiques aux différents allergènes. Il est aussi possible de pratiquer un test de provocation qui consiste à administrer un agent allergène sur une muqueuse respiratoire ou digestive pour vérifier que c'est bien lui qui est à l'origine d'une réaction inflammatoire. Toutefois, ce test est à réaliser avec prudence dans le cas d'une suspicion d'allergie alimentaire et il doit s'effectuer dans une structure apte à prendre en charge une réaction allergique grave.
Reste, une fois le diagnostic posé, à traiter le mal. Si les traitements médicamenteux comme les antihistaminiques — avec une vigilance sur les produits dits de “première génération” qui, en franchissant la barrière hémato-encéphalique, entraînent des risques de somnolence) — ou les corticoïdes permettent de calmer les symptômes de l'allergie, ils n'agissent pas sur les causes. En revanche, connaître l'origine de son allergie aide au moins à éviter le contact avec les allergènes. Une recette qui ne fonctionne que pour les allergies alimentaires ou liées à la prise de médicaments pour lesquelles il est possible d'écarter de ses habitudes alimentaires ou de ses traitements les substances ou produits qui déclenchent la réaction allergique. Difficile en revanche pour les allergies respiratoires de savoir si l'air que l'on respire véhicule des pollens, graminées ou polluants. C'est encore plus compliqué lorsque le patient souffre d'allergie multiple !
L'enjeu de l'observance
Reste alors la solution de la désensibilisation. Sur ce point d'importants progrès ont été réalisés avec l'immunothérapie allergénique (ITA) qui rend le patient tolérant aux allergènes sur un principe comparable à celui du vaccin : l'administration régulière durant une période de trois à cinq ans d'extraits allergéniques stoppe ou au moins tempère les réactions du système immunitaire. Si des traitements ont longtemps reposé sur des injections sous-cutanées, ils existent aujourd'hui sous une forme sub-linguale beaucoup mieux tolérée et même, pour certains allergènes, sous la forme de simples comprimés. Ces nouvelles immunothérapies allergéniques protègent le patient durant plusieurs années et de nombreuses études ont montré qu'elles pouvaient éviter l'apparition d'autres allergies. Surtout, en étant moins contraignantes, elles permettent un meilleure suivi des traitements alors que favoriser observance — celle-ci est estimée à seulement 30% chez les patients adultes ! — est un enjeu important dans la maladie allergique. “On a beaucoup avancé sur la désensibilisation grâce à des molécules plus pures que celles utilisées pour les injections sous-cutanées qui présentaient toujours le risque de choc anaphylactique”, précise le docteur Jean-Paul Marre.
De nouvelles stratégies thérapeutiques
Pour les cas les plus graves, de nouvelles stratégies thérapeutiques à base d'anticorps monoclonaux qui visent les médiateurs chimiques impliqués dans l'apparition des symptômes de la maladie sont actuellement développées. Des anti-IgE sont ainsi indiqués comme traitement additionnel pour améliorer le contrôle de la maladie chez les patients adultes et adolescents souffrants d'asthme sévère d'origine allergique. “Ce nouvel arsenal thérapeutique ne permet pas de résoudre tous les problèmes dans la prise en charge des allergies mais grâce à une meilleure compréhension de leurs mécanismes, notamment dans l'asthme et la polypose naso-sinusienne, il indique une voie immunologique prédominante, souligne le docteur Marre. Grâce à ce phénotypage, on dispose de biothérapies pour des cas sévères mais qui, si elles sont très adaptées pour certains patients et certaines formes d'allergies, ne peuvent pas concerner tout le monde.” Dans une maladie qui devrait toucher de plus en plus de monde, cette voie est en tout cas une piste intéressante pour la progression de la recherche.
Article réalisé avec le soutien du LEEM.
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